Depuis la visite papale au Québec l’été dernier, la parole s’est libérée à travers le continent nord-américain quant à l’expérience traumatisante des boarding schools. Ces pensionnats – pour la plupart gérés par des religieux catholiques ou protestants – accueillaient des enfants et adolescents issus de familles amérindiennes, dans le seul but de les assimiler aux populations anglo, se servant de l’éducation comme prétexte pour interdire aux jeunes tout lien avec les cultures autochtones de leurs parents.
Cet été, la série Little Bird (Prix du Public Festival Séries Mania) ne se contentait pas de prendre en toile de fond – comme l’avaient fait dans le passé d’autres œuvres télévisuelles ou cinématographiques – ce sombre épisode de l’histoire transnationale amérindienne puisque son héroïne principale était une étudiante en droit adoptée et élevée par une famille juive qui décidait de partir à la recherche de ses parents, frères et sœurs biologiques amérindiens.
Avec le boom des productions audiovisuelles conçues par des équipes de scénaristes, réalisateurs.trices et producteurs amérindiens, cette page douloureuse de l’histoire autochtone est de plus en plus présente sur nos écrans. Récemment, c’est la série TV humoristique Reservation Dogs qui, lors de l’épisode 3 de sa troisième saison, s’attelle à dénoncer les mauvais traitements dont furent victimes les élèves amérindiens des boarding schools. Sterlin Hajo, le co-créateur de la série avec Taika Waititi, a scénarisé cet épisode qui se démarque des reconstitutions historiques vues dans d’autres séries telles que Little Bird, par une touche fantasmagorique hyper sombre. L’objectif n’était pas de verser dans le sordide ou le sensationnalisme mais d’offrir au spectateur une expérience sensorielle proche, hélas, de celle, horrible, vécue par les élèves de ces pensionnats.
Afin de transcrire la terreur ressentie, le compositeur Mato Wayuhi et l’ingénieur du son Patrick Hogan, ont eu la fantastique idée de rendre les ordres aboyés par les religieuses ou les employés non-natifs incompréhensibles. La violence des intonations et des cris était d’autant plus intolérable que les élèves arrachés à leurs familles ne parlaient pas, pour la plupart, anglais. Dans un premier temps, le timbre des voix a été retravaillé en studio afin que les dialogues enregistrés deviennent si graves qu’ils pourraient évoquer le « mugissement d’un dragon ». (cf.interview accordée à Indiewire) Puis, les dialogues des adultes ont été réenregistrés à l’envers rendant les phrases complètement inintelligibles.
Même si cet épisode est resté fidèle à la dimension onirique voire parfois carrément surréaliste des récits intimes mis en scène depuis le début de la série, Sterlin Hajo a veillé à retranscrire le plus finement possible l’expérience des survivants des boarding schools. Comme l’action est censée se dérouler dans les années 1970, décors, vêtements et musiques de la bande-son reflètent cette période vécue sous la forme de flash-back par Deer Lady qui [attention spoiler], dans le présent diégétique, s’apprête à venger son camarade assassiné par les adultes du pensionnat.
Denise Lajimodiere, poète et auteure Ojibwe, a servi de consultante historique. Elle a publié Stringing Rosaries aux éditions North Dakota State University Press en 2019 à propos des pensionnats.
La réalisatrice Cree-Métis de cet épisode, Danis Goulet, avait déjà abordé le thème des boarding schools dans Night Raiders, long-métrage sorti en 2013 dont l’action se déroulait dans un futur dystopique. Pas étonnant donc qu’elle ait choisi d’insuffler à l’épisode 3 de la saison 3 un climat et une tension proches des films issus du genre horrifique. Un pas de côté qui permet toutefois de transcrire l’horreur des boarding schools.
Voir son interview pour Vulture.
Quant à Kaniehtiio Horn, l’actrice qui interprète Deer Lady, elle a dû s’entraîner à parler le Kiowa (langue considérée en danger critique d’extinction, seules 80 personnes âgées la pratiquent et la maîtrisent encore) avec Warren C. Queton, Kiowa language consultant.
La figure justicière de Deer Lady est bien vivante dans l’imaginaire et la spiritualité des Indiens des Plaines. Voir mon article en ligne, publié chez les Ourses à Plumes. C’est Ella Cara Deloria, l’assistante de Frank Boas qui recueille plusieurs récits qui mentionnaient pour la première fois une femme aux pieds de biche. Cet être hybride est si important dans l’inconscient collectif des Premières Nations que plusieurs autrices autochtones contemporaines l’ont incorporée dans leurs récits. On songera ainsi à la nouvelle Deer Woman de Paula Gunn Allen et aux romans The Grass Dancer de Susan Power ou Antelope Woman de Louise Erdrich. Dans Reservation Dogs, elle sert celles et ceux qui exigent réparation pour les atrocités commises (et couvertes) par les gouvernements nord-américains (US et Canadiens) au nom de l’assimilation des populations autochtones.
Au delà de la mise en images de cette période sombre de l’histoire nord-américaine, des actions en justice sont menées par des groupes de survivors et leurs descendants. The National Native American Boarding School Coalition recueille les témoignages des victimes, offre des supports pédagogiques pour aborder en classe l’histoire des boarding schools… Ce groupe de militants a également créé et mis en ligne un plan interactif très bien conçu qui recense les 523 boarding schools (connus à ce jour) aux USA ainsi que ceux qui ont existé (et continuent d’exister !) au Canada.
En 2024, environ 20 000 documents numérisés seront mis en ligne, principalement des archives de boarding schools opérés par les Quakers dans les états de l’Indiana, du Kansas, du Nebraska, de New York, de l’Ohio, de l’Oklahoma, et de la Pennsylvanie. Une ressource essentielle pour les chercheurs.