L’artiste Andrew Qappik dans Inuit et dans Nunavut, de Baudoin & Troubs

Je viens de terminer l’album Inuit, dessiné à quatre mains, voire à plus, puisque plusieurs artistes inuits y ont glissé leurs dessins

Récit d’un voyage réalisé par Edmond Baudoin et Troubs dans le Grand Nord Canadien, Inuit, publié aux éditions L’association, donne la parole aux habitants de North West River, dans le Labrador, et à ceux de Pangnirtung dans le Nunavut. Les deux dessinateurs rencontrent des membres des communautés inuite et innue mais aussi des Européens, comme Markus, qui a trouvé refuge dans cette petite ville du bout du monde.

La construction du livre est simple : un fil chronologique relie chaque portrait. Les deux auteurs croquent des témoins qui en échange, acceptent d’évoquer leurs souvenirs ou de répondre à leurs questions.

C’est un livre à la fois rare – de par sa nature de récit de voyage et d’oeuvre d’art protéiforme – et essentiel car toutes ces tranches de vie donnent à voir le passé, le présent et peut-être aussi les perspectives d’avenir d’un peuple de survivants.

Evitant les raccourcis simplistes et les dichotomies, Baudoin et Traubs captent la complexité des enjeux économiques et politiques auxquels les jeunes générations doivent se confronter.

La route vers le Nord doit-elle être rallongée ? L’extraction minière est-elle source de richesses pour les peuples autochtones ? Comment transmettre la culture des ancêtres sans la trahir ?

Publié en 2023, Inuit, magnifique album grand format de 176 pages a été complété par un petit fascicule intitulé Nunavut, toujours signé des deux auteurs. Baudoin y précise les difficultés rencontrées et continuent de se poser des questions à propos des Peuples et individus immortalisés dans Inuit. Ce n’est jamais simple de partir à la rencontre de communautés autochtones qui ont été violentées et spoliées par le passé. Le visiteur, qu’il soit artiste, chercheur, écrivain ou simple touriste, a parfois l’impression de gêner, voire de contribuer, par ces questions, au vol culturel et politique commis plusieurs décennies et siècles plus tôt.

Mais la richesse des collaborations – Billy Gauthier, un artiste métis inuk ou Heather, qui travaille à distance pour Inuit Art Fondation, ou bien encore Jonah, sculpteur rencontré au KFC à Pang et Andrew Qappik, artiste mondialement connu – montrent que le voyage de Traubs et Baudoin, s’il a peut-être soulevé encore plus de questions qu’il n’en existait au départ, a tissé des ponts entre les continents et les Peuples.


Billy Gauthier
Narwhal Hunt (n.d.)
Courtesy Spirit Wrestler Gallery © the Artist Photo Kenji Nagai

There’s Another One, Andrew Qappik, 2012. copyright British Museum.

Inuit est une symphonie de voix et d’illustrations, le présent des deux voyageurs s’enrichissant des histoires immémoriales, comme celle de Sedna, jeune femme sacrifiée par son père, devenue l’entité protectrice de la faune sous-marine et, de temps à autre, lorsqu’elle n’est pas en colère, pourvoyeuse de viande… C’est justement Billy, l’artiste et activiste – il a fait une grève de la faim pour alerter les populations locales sur les conséquences du barrage hydroélectrique de Muskrat Falls (empoisonnement de l’eau au méthylmercure) – qui dessine l’histoire à la fois tragique et belle de Sedna.

La première rétrospective, intitulée Sila, en dehors du Labrador et du Nunavut, pour Billy Gauthier se tiendra cet été, du 22 juin au 20 octobre, à la Kitchener-Waterloo Art Gallery.

Photo Megan Stewart, The New Humanitarian

Un autre artiste inuit mis en avant par Traubs et Baudoin est Andrew Qappik. Ses oeuvres picturales sont exposées au British Museum et dans de nombreux musées et galeries, Qappik avait déjà collaboré avec Baudoin avant Inuit par l’intermédiaire de Vincent Marie, cinéaste et frère de l’apnéiste Laurent Marie. Plusieurs de ses dessins faisaient partie du documentaire Les harmonies invisibles.

Qappik a commencé à dessiner très jeune et à l’âge de 16 ans, il avait déjà participé à l’illustration de 116 ouvrages collectifs. Il maîtrise plusieurs techniques : la gravure, la pointe sèche, la lithographie, la linogravure et la sculpture de pierre… Il a illustré de nombreux livres jeunesse et il anime régulièrement des ateliers en milieu scolaire.

On peut ainsi l’entendre dans cette vidéo expliquer à une classe comment travailler la pierre de savon.

Il a aussi collaboré avec de nombreuses institutions. Il a dessiné le blason du Nunavut, mais aussi créé le design pour de nombreuses pièces de monnaie canadiennes…

Blason du Nunavut dessiné par Andrew Qappik

Pièce en or dessinée par Andrew Qappik et sortie pour le 20e anniversaire du territoire du Nunavut. Un morse, un ptarmigan, un ours polaire, une baleine boréale et un narval sont représentés à l’intérieur d’une feuille d’érable. Courtesy of Royal Canadian Mint.

Si vous n’avez pas encore lu les livres de Baudoin & Troubs sur le Nunavut, écoutez Andrew Qappik nous raconter son quotidien d’artiste à Pangnirtung :

Transcription :

« Je suis Andrew Qappik.

Je suis né à Nunataq, un campement non loin de Pangnirtung. Quand j’ai commencé, eh bien, j’étais juste un enfant, un pré-adolescent. J’ai grandi en écoutant des histoires, j’ai grandi avec la culture de mes ancêtres, les traditions. Et à partir de là, j’ai essayé de traduire, de transcrire, ce que j’avais entendu, mais aussi ce que je voyais, la nature, les animaux sauvages, ce qui existait autrefois : les légendes, les mythes…

D’abord, j’ai dû faire en sorte que mon travail soit accepté par deux coopératives. Le management de l’imprimerie était plutôt commercial, avec des magasins. J’ai essayé de travailler dans une autre branche, mais j’ai repris mes tirages et ici, avec d’autres artistes du coin, nous avons créé une association, les artistes se sont rencontrés et nous avons fondé ce centre d’art communautaire [Uqqurmiut Centre for Arts and Crafts NDLR], il a ouvert vers 1991.

Dans cette gravure, vous voyez la plaque de cuivre, c’est le medium, et j’ai essayé de capturer cette scène hivernale, de rendre artistiquement le vent qui traverse l’espace, on peut le sentir là. J’ai réussi à obtenir ce que je voulais.

Cet autre exemple, c’est une image qui représente une mère et son fils, et j’ai utilisé une plaque de zinc, ce métal, et j’ai travaillé la texture différemment, car je voulais que ce qui se trouve au centre, la mère et le fils, ressorte. Je voulais montrer le soin que porte cette mère à son fils, et aussi l’amour du garçon pour sa mère.

Celui-ci est un portrait de moi et de mon épouse, Annie, qui a toujours été à mes côtés. Elle a été mon manager personnel, à l’atelier et en dehors de l’imprimerie, à l’extérieur. Il s’appelle Andrew & Annie, je lui montre le travail que j’ai fait il y a plusieurs années et l’image à l’intérieur de l’autre image, qui s’est transformée en tirage, est intitulée « As I see. » C’est un homme qui regarde à travers un trou dans la glace, fait par une otarie, et l’otarie regarde le compagnon de l’homme, un chien husky, que l’on emmène à la chasse en hiver. Le résultat est vraiment pas mal.

Je viens de finir une autre œuvre, et voir quelque chose de fini, qui prend vie devant ses yeux, après être sorti de son esprit, ça vaut le coup, c’est un moment très satisfaisant. »

As I see, Andrew Qappik, 1998

 

 

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