La commercialisation de musiques d’ambiance destinées à la relaxation a accompagné le développement des formations, conférences et autres stages de développement personnel.
Les mélodies s’inspirant de morceaux joués à la flute par des artistes autochtones sont aussi devenues les bandes-son des magasins orientés nature, retour aux sources voire même trekking.
La plupart du temps, ces compilations ne font même pas appel à des artistes autochtones ou se contentent de piller leurs morceaux sans jamais citer leurs noms, au mépris des droits d’auteur.
Et si on honorait la mémoire de Doc Tate Nevaquaya, artiste comanche, à la fois musicien et peintre, qui a contribué à l’émergence de nouvelles mélodies de flute amérindiennes ?
Né en 1936 dans la ville d’Apache en Oklahoma, Joyce Lee Doc Tate Nevaquaya est un multi-artiste comanche mondialement connu. Il est apparu plus de 25 fois à la télévision et, en participant à l’émission quotidienne Good morning America, il a réussi à populariser la musique des Indiens des Plaines en collaborant notamment avec des artistes country, jazz ou pop comme Roy Clark, Loretta Lynn, ou Sammy Davis Jr.
En 1973, le gouvernement fédéral lui demande de concevoir et de peindre un bouclier comanche en honneur de la Tombe du Soldat Inconnu située au cimetière d’Arlington.
Il fut aussi le premier autochtone à jouer au Carnegie Hall en 1990. Présentes dans différents musées à travers le monde, ses oeuvres picturales furent également acquises par des collectionneurs comme la reine d’Angleterre Elizabeth II, et l’acteur Vincent Price.
En 1986, la Nation Comanche décida d’instituer un jour en son honneur : depuis lors, le deuxième vendredi du mois d’octobre est le Joyce “Doc” Tate Nevaquaya Day.
Elevé par ses grands-parents (il devint orphelin vers 13 ans), le jeune Joyce qui reçut son prénom et son surnom « Doc » en souvenir du médecin qui accoucha sa mère, baigna dans une ambiance traditionnelle. Comme la plupart des jeunes amérindiens de cette époque, il fut envoyé dans un pensionnat, le Fort Sill Indian School, fondé par les Quakers en 1871. Là-bas, Nevaquaya dut s’astreindre à ne parler qu’anglais, sous peine d’être puni.
Une ancienne élève Gina Quoetone Pauahty s’était confiée à la Oklahoma Historical Society en ces termes : « Je suis Kiowa et pour éviter de m’attirer des ennuis, je parlais Comanche. Mais je me faisais punir pareil (…) On me punissait parce que je parlais une langue indienne. »
Malgré la séparation forcée, Doc Tate Nevaquaya reste proche de sa famille et n’oublie pas les traditions de ses ancêtres.
C’est à l’âge de 7 ans qu’il entendit pour la 1ière fois une mélodie jouée à la flute. Il acheta son premier instrument alors qu’il était encore un adolescent, chez un prêteur sur gage. C’était un simple sifflet mais il l’utilisa pour s’entraîner.
A Fort Sill Indian School, il put recevoir ses premiers cours de dessins, à l’instar d’un autre artiste, Leonard « Black Moon » Riddles qui fréquenta le même institut puis devint, bien plus tard, son ami. Néanmoins, il n’appréciait pas l’enseignement qui y était dispensé.
Doc Tate Nevaquaya se considéra toujours comme un autodidacte en art, mais, il fréquenta deux ans l’université Haskell, puis fut amené à enseigner en 1972 comme Professeur d’Art à la Brigham Young University et en 1974 à la Georgetown University.
En 1986, il obtint une bourse, le National Heritage Fellowship, octroyée par le National Endowment for the Arts : dès les années 1970, il avait mené des recherches à la Library of Congress et dans les collections Smithsonian, consultant notamment des enregistrements sonores des années 1890.
Comme les musiciens amérindiens ne transcrivaient pas leurs musiques sur partitions, ces enregistrements l’aidèrent à faire resurgir des mélodies qu’on croyait perdues.
Doc a remis au goût du jour des mélodies codifiées socialement par les Lakota. La flute était essentiellement jouée par les hommes à la recherche d’une partenaire, pour lui faire la cour. De nombreux chants (les Wioste Olawan) participaient à des parades amoureuses. L’épouse de Doc, Charlotte, affirmait ainsi : « Doc voulait montrer la beauté à l’oeuvre dans son art, la flute représentait une musique jouée pour l’amour. Il aimait répéter ‘Nous ne sommes pas des sauvages. Nous aimons nous aussi.’ »
Les relations amoureuses étaient ritualisées dans la culture traditionnelle. Après avoir fait montre de vaillance (en gagnant des honneurs lors de batailles, en tuant des bisons ou en capturant des chevaux ensuite offerts à la famille de sa compagne potentielle), le jeune Lakota se rendait chez un homme médecine, le Elk Dreamer. Ce dernier remettait au jeune amoureux une flute appelée Siyotanka, parfois sculptée et taillée pour épouser la forme de la tête d’un oiseau aquatique. Grâce à elle, et avec l’aide d’une médecine à base de monarda (beebalm) concoctée par le Elk Dreamer, le jeune homme était censé conquérir le coeur de sa bien-aimée.
Sources :
- Archives Orales, interview avec le fils, Timothy Tate Nevaquaya, de Doc Tate Nevaquaya. Oklahoma Native Artists Oral History Project Oklahoma State University Library.
- Bill Johnson, « Oklahoma Artist Finds Fame in the Traditional », 30 novembre 1990.
- Paula J Conlon, Timothy Tate Nevaquaya, Edmond Tate Nevaquaya. Doc Tate Nevaquaya: Master Comanche Artist and Flute Player. Tellwell Talent, octobre 2024.
- Paula Conlon. “Review of Native America: Indian Flute Songs from Comanche Land: Doc Tate Nevaquaya.” The World of Music 46(3) (2004): 208–210.
- William Powers. “The Art of Courtship Among the Oglala,” American Indian Art Magazine 5(2) (1980), 41–43.
- Edward R. Wapp. “The American Indian Courting Flute: Revitalization and Change.” In Sharing a Heritage: American Indian Arts, Contemporary American Indian Issues Series, Number 5, dirigé par Charlotte Heth et Michael Swarm (Los Angeles: American Indian Studies Center, UCLA, 1984): 49–59.
- Brandon Ecoffey. « Oglala researcher focuses on Elk Medicine » Lakota Times, 24 mars 2016.
Enregistrements :
- Indian Flute Songs from Comanche Land (1976)
- Comanche Flute Music (1979), Folkways Records