Dans cette rubrique, vous trouverez des fiches thématiques et historiques pour comprendre la réalité de l’offre de soin en territoire navajo. Plein d’infos sur la médecine dite « traditionnelle » et les différents types de médecins navajo (hataali et diagnostiqueurs) mais aussi l’histoire des premiers hôpitaux et des exemples de collaboration réussie (programme de formation hommes-médecine…)
La Science au service des Navajo ?
Confrontés à une vague d’épidémies (trachome, influenza, tuberculose) qu’ils n’arrivent pas à endiguer, les Navajo se montrent moins réticents à utiliser la médecine bilagaana à partir des années 1950. Certains hataali ne cachent pas leur impuissance à combattre ces maladies. Ils acceptent de prêter main forte aux travailleurs sociaux et représentants tribaux de l’Advisory Committee qui promeuvent une collaboration accrue avec les médecins et chercheurs anglo.
Lien vers l’exposition virtuelle de la US National Library of Medicine.
Des conférences sont organisées afin d’expliquer les modalités de transmission de la tuberculose et le fonctionnement des appareils médicaux.
Le Navajo Cornell Field Health Research Project, respectueux des croyances ancestrales, achève de vaincre les réticences des Navajo à se rendre dans les hôpitaux.
Certains hataali reconnaissent même la complémentarité des deux médecins tout en rappelant aux médecins anglo la nécessité de ne pas faire preuve d’arrogance envers le patient navajo.
Ainsi, à la fin des années 1950 (date non précisée), Sam Yazzie, un hataali très âgé et respecté, affirme à l’équipe du docteur Adair que dans certains cas, il conseille aux familles navajo de recourir aux soins prodigués par l’hôpital : «
«J’éprouve un immense respect pour les médecins blancs, ils savent faire des choses que nous pouvons réaliser. Par exemple, ils peuvent retirer un appendice, ils peuvent enlever un calcul rénal ou soigner une infection urinaire. Ils peuvent couper une partie des intestins et recoudre l’estomac afin qu’il récupère. Il existe certaines maladies qu’un docteur ne peut pas traiter mais que nous pouvons soigner –la maladie du lézard, par exemple (…) Aucun médecin blanc ne peut soigner une maladie de ce type (…) A chaque fois qu’un patient ne se sent pas mieux alors moi ou tout autre homme-médecine maître de son art, devrait permettre au patient de se rendre à l’hôpital et de passer des radios (…) Il peut ensuite revenir nous voir pour la suite des chants (…) J’éprouve beaucoup de respect pour les médecins. Je ne leur aurai jamais fait ce qu’ils nous ont fait subir, leurs nombreuses vexations et humiliations pour nous empêcher d’exercer notre art. A un certain moment, les médecins Américains voulaient tous nous voir fermer boutique. Je n’ai jamais souhaité cela pour eux. »
Adair, John, Deutschle, Kurt, Barnett R., Clifford. The People’s Health : Anthropology and Medicine in a Navajo Community. Rev. Ed. Albuquerque : University of New Mexico Press, 1988, pages 13, 27.Un programme de recherche sur les comportements des patients révèle, dans les années 1950, que le succès grandissant de la médecine occidentale au sein de la tribu tient à la confiance absolue d’un grand nombre de Navajo dans l’efficacité des techniques ou des outillages médicaux anglo. La technicité suscite l’adhésion des patients. Même lorsque le traitement médical recommandé ne nécessite pas la manipulation et l’usage d’appareils par les médecins ou personnels hospitaliers, les Navajo l’exigent… Il existait une demande effrénée de traitement par piqûres et rayons X car les Navajo étaient impressionnés par ces techniques : les médecins récemment installés dans la réserve ne pouvaient garder leur calme face à la demande fréquente de piqûres et de rayons X, parfois inutiles. Des praticiens peu scrupuleux exerçant en dehors des structures hospitalières gouvernementales acceptaient de leur administrer des piqûres de manière injustifiée.
Mico, Paul R. « Navajo Perception of Anglo Medicine » Navajo Health Education Project, PHS Indian Hospital, Tuba City, 16 avril 1962, p.11-12.Pragmatiques, une grande majorité de Navajo adopte une dichotomie conceptuelle bien pratique pour justifier leur usage des deux formes de médecine. On consulte le praticien non traditionnel pour les pathologies rapidement identifiables ou diagnosticables, notamment celles qui résultent de dysfonctionnements moteurs ou physiologiques: une côte cassée, une fracture de la hanche, un rhume, la varicelle…On consultera le hataali lorsque les manifestations pathologiques revêtent un caractère chronique, perdurant au delà de la durée du traitement initial (cancer par exemple) ou pour les troubles d’origine psychosomatique et psychiatrique.
« Dans 75% des cas, j’irai voir le médecin et pas le medicine man…Par exemple, si je tombe dans les escaliers et mon bras gonfle, si je crois que je me suis cassé le bras, alors je me rends immédiatement chez le docteur. Le hataali ne peut rien pour ce bras cassé, il ne m’est d’aucune utilité pour les éruptions cutanées, la varicelle par exemple (…) Un médecin vous administre un anesthésique et vous vous endormez facilement. Il replace l’os cassé…Il vous met un plâtre…le medicine man ne fait pas ce genre de choses. Le médecin vous prescrit un analgésique ou un autre médicament pour faire tomber la fièvre. »
Cassette #286B, avril 1969. American Indian Oral History Collection, 1967-72, MSS 314 BC, Center for Southwest Research, University of New Mexico, Albuquerque.La défiance vis à vis de l’hôpital public.
L’enthousiasme des Navajo pour la médecine blanche dans les années 1950 (qui a bénéficié de la bonne réputation du Cornell Project) fait place à la désillusion et au mécontentement comme le montrent différentes recherches menées à la fin des années 1960.
Entre 1968 et 1969, Robert L. Kane et Rosalie A. Kane recueillirent les témoignages de patients navajo soignés à l’hôpital de Shiprock.
Malgré les progrès accomplis dans l’instauration d’une délivrance de soin prenant en compte les différences culturelles et religieuses des patients, les patients Navajo étaient loin d’être satisfaits des traitements prodigués par le personnel anglo ou navajo.
-
49% mentionnèrent les longs temps d’attente à l’hôpital.
-
8% affirmèrent que de nombreux dossiers étaient égarés.
-
7% se plaignirent du manque de médecins.
-
6% reprochèrent au personnel de ne pas lui administrer suffisamment d’injections.
-
7 % reprochèrent au PHS le mauvais travail des interprètes.
-
5% affirmèrent que le personnel hospitalier était discourtois et peu attentionné.
Les sondés avaient peu de considération pour les médecins ou les infirmières et les interprètes dont le comportement leur semblait oisif et méprisant.
« L’interprète ne coopère pas avec moi. J’ai rencontré une infirmière qui m’a dit que mon enfant avait besoin d’une douche. »
« Lorsque vous vous rendez à l’hôpital, vous devez attendre une demi-journée avant que n’arrive votre tour et si un blanc se trouve là, il passera avant vous. Ils devraient travailler davantage et limiter leur nombre de pauses-café. »
« [Nous attendons] trop longtemps car les médecins prennent du bon temps à discuter entre eux... »
« Pendant mon hospitalisation, j’ai l’impression que toutes les infirmières me détestent uniquement parce que je les appelle lorsque j’ai besoin de leur aide. Si des infirmières plus gentilles pouvaient exister… »
« Les médecins de Shiprock ne sont pas gentils et attentionnés avec les Indiens, surtout avec les personnes âgées (…) Nous aimons les médecins et les infirmières qui sont enthousiastes et savent remonter le moral aux malades au lieu de les décourager et aggraver leur mal. »
« L’hôpital que l’on nous a promis n’est pas utilisé pour nous soigner. Il sert à former de nouveaux médecins. »