Dans le cadre de la célébration des 40 ans de jumelage entre la ville de Nantes et Seattle, une exposition intitulée Futurismes autochtones se tiendra à Nantes en novembre 2021 en partenariat avec l’association De la Plume à l’Écran.
J’avais déjà évoqué l’intérêt des artistes des Premières Nations pour les univers geeks, et plus précisément la science-fiction ou le fantastique, dans un précédent post où je citais l’interview accordée par Arigon Starr, créatrice du comic-book Super-Indian, au journal High Country News.
Mais, le mouvement des Futurismes autochtones ne se limite pas à une segmentation marketing du lectorat des BD avec l’apparition de héros appartenant à des groupes ethniques traditionnellement peu représentés.
Les artistes qui se revendiquent des Futurismes autochtones utilisent divers médias : musique (The Halluci Nation), texte, Virtual Reality films, peinture, jeux vidéos, installations lumineuses ou électroniques, BD, sculpture, mode et joaillerie pour concevoir des œuvres qui se nourrissent du passé autochtone tout en présentant une vision du futur à la fois high-tech et fantasmée. Le duo de Metis in Space a même conçu un podcast dans lequel plusieurs épisodes de séries SF/fantastique sont analysées d’après un prisme Native !
La « maternité » de l’expression Indigenous Futurism est attribuée à l’universitaire Grace L. Dillon qui publia en 2012 “Walking the Clouds: An Anthology of Indigenous Science Fiction”, un recueil de récits de science-fiction réunissant plusieurs auteurs autochtones dont Leslie Marmon Silko (Laguna Pueblo), Gerald Vizenor (Minnesota Chippewa), et Stephen Graham Jones (Blackfeet)…
Elle-même Anishinaabe, Grace L. Dillon s’inspire du mouvement Afrofuturiste pour décrire l’appropriation de la science-fiction par les artistes amérindiens, en réaction à une vision des peuples autochtones prisonniers ou figés dans un traditionalisme moribond.
Certains chercheurs comme Rob Latham, Professor à l’University of California, militent afin de faire connaître les nombreux écrits d’auteurs noirs ou amérindiens mais aussi d’autrices, restés dans l’ombre sous prétexte qu’ils ne correspondaient pas aux modèles du genre, notamment les récits de conquête spatiale, elle-même miroir de la conquête vers l’ouest légitimée par le Manifest Destiny, concept clef de l’expansionnisme impérialiste nord-américain. D’après eux, la science-fiction telle qu’on la définit encore aujourd’hui se réfère bien souvent aux textes d’auteurs majoritairement hommes, blancs et anglos : « To the writers of the 1930s and 1940s, conquering a new world was a doctrine of manifest destiny. Conquering a new world means something different to people who were brought to the country in chains or were displaced or subject to genocide. »
Par ailleurs, les jeunes générations d’Amérindiens se sont appropriés symboles et figures iconiques de la culture geek ou pop, créant ainsi des oeuvres mash-up (incorporant plusieurs éléments d’après la technique du collage) qui font le lien entre les histoires orales de création du monde et les univers propres à la fantasy ou à la science-fiction.
Ainsi,
de l’artiste Diné (Navajo)Les artistes qui participèrent à cette exposition (qui se tint en ligne en raison de la pandémie) ne se contentent pas de disséminer dans leurs œuvres des éléments culturels futuristes facilement identifiables. Dans une perspective de décolonisation des savoirs, ils utilisent des motifs de science-fiction (l’énergie, les voyages spatio-temporels, la robotique…) pour redonner la parole aux sans-voix : familles dépossédées de leurs terres et de leurs enfants, femmes victimes de violences sexuelles et psychologiques…
Luzene Hill, artiste multimédia Cherokee, a réalisé une série de sculptures en cire en réponse aux seules couvertures de survie distribuées aux femmes et enfants arrêtés puis regroupés par la police des frontières. Luzene Hill écrit : « The asylum seekers had been given Mylar emergency blankets and were huddled in groups, wrapped in the thin sheets which shimmered in the headlights of Border Patrol buses. Seeing migrant people being given government issued blankets and being reminded of the words “your huddled masses yearning to breathe free” animated me to respond (…) In this work, the blankets that held empty promises and pseudo protection have become energizing cloaks, imbuing power. »
Virgil Ortiz, bien connu pour ses poteries et vestes en cuir, a exposé à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, au Smithsonian National Museum of the American Indian, et dans de nombreux autres prestigieuses institutions du monde entier. Il s’est fait connaître avec une série d’œuvres qui font le lien entre la révolte des Pueblos de 1620 et un monde futur, situé en 2180, année où se déroule une autre insurrection Pueblo.
Se projeter dans l’avenir, se retourner vers le passé et aussi imaginer ce qu’aurait pu être le passé sans la colonisation. Le futurisme autochtone ou plutôt les futurismes autochtones, tant ils sont nombreux et variés, visent à offrir aux jeunes générations amérindiennes des ouvertures sur de multiples possibles. Parfois, en s’emparant de thématiques qui nous touchent tous, autochtones ou occidentaux, comme la protection de l’environnement. Ainsi, la réalisatrice anishinaabe Lisa Jackson imagine dans Biidaaban un Nathan Phillips Square (le parvis de l’hôtel de ville de Toronto) envahi par la Nature qui a repris ses droits. Ce film en réalité virtuelle propose au spectateur une temporalité et un rapport autochtone à l’espace et à son occupation radicalement différents.
Biidaaban (Trailer) from NFB/marketing on Vimeo.
Bien souvent les futurismes autochtones s’apparentent à des kaléidoscopes où viennent se rencontrer et s’entrecroiser passé, présent et futur.
Ainsi, des triptyques photographiques réalisés par Shelley Niro (également réalisatrice des films The Incredible 25th Year of Mitzi Bearclaw et Kissed by Lightning…) Sa série En terrain mimé, comprend pour chaque œuvre un portrait parodique colorié à la main, un portrait de famille sépia viré et un autoportrait de l’artiste.
Avec un autre media, des épisodes machinima développés entre 2008 et 2013 au sein de l’environnement virtuel de Second Life, Skawennati met en scène un jeune Mohawk, Hunter, qui vit à Montréal en 2121 et voyage dans le temps pour revivre des évènements marquants de l’histoire autochtone comme la crise d’Oka de 1990.
Toutes ces œuvres témoignent de l’excellent dynamisme de la scène culturelle autochtone et aussi du désir de ces jeunes artistes de revisiter leur passé pour imaginer de meilleurs futurs où le progrès et la technologie seraient enfin au service du bien-être des Premières Nations et non de leur soumission/éradication.