Expo art déco France -USA, cité de l’architecture (jusqu’au 6 mars) : un exemple d’appropriation en 1917 ?

L’un des artefacts présentés à la cité de l’architecture dans le cadre de l’exposition temporaire Art Déco France – Amérique du Nord qui se tient jusqu’au 6 mars est un morceau de carlingue d’un avion appartenant de l’escadrille La Fayette. Quel rapport avec l’art déco me direz-vous ?

carlingue d’avion, 1917-1918. Huile sur toile, © American Battle Monuments Commission. Photographié par Nausica Zaballos.

L’exposition s’attarde à explorer toutes les facettes des collaborations entre la France et les USA, à partir des années 1910 et l’essor de l’art déco à l’international, jusqu’aux années 1940 avec la fin de la mode du streamline, très en vogue à Miami et en Californie.

Henry Hohauser (1895-1963), Greystone Hotel, Miami Beach, Floride, vers 1939. Carte postale, Curteich C.T. Photo-Colorit, Chicago, publisher. Miami Beach, The Wolfsonian – Florida International University. Photo service de presse. © The Wolfsonian – Florida International University, Miami Beach, Florida, Gift of H. Lawrence Wiggins III – Photo : Lynton Gardiner

Les gratte ciels fascinent les artistes français, à tel point qu’on imagine alors des gratte-ciels à côté de Notre Dame ou dans le quartier de la Madeleine.

Photomontage de Louis Bonnier. Paris, SIAF, Cité de l’Architecture et du Patrimoine, Archives d’architecture contemporaine, Fonds Louis Bonnier. Photographié par Nausica Zaballos

Photomontage de Louis Bonnier avec Notre Dame de Paris et le Woolworth Building, 1928, Paris, SIAF, Cité de l’Architecture et du Patrimoine, Archives d’architecture contemporaine, Fonds Louis Bonnier. Photographié par Nausica Zaballos.

Plusieurs décorateurs, architectes et designers français partent donc à leur conquête en osant dire, comme Paul Iribe, aux Américains qu’ils ont mauvais goût. Mais les Américans n’en prennent pas ombrage et troquent leurs décorations néoromanes et néogothiques pour des créations art-déco.

Les exemples d’emprunts, de copies, d’inspirations mutuelles sont donc multiples, que ce soit au niveau maritime avec l’un des nombreux transatlantiques de cette époque, l’Ile de France, qui relia le Havre à New York le 22 juin 1927, ou architectural avec la décoration d’immeubles et de gratte-ciels. On mentionnera ainsi les portes monumentales du Rockefeller Center, sculptées par Alfred Janniot ou moins connu, le grand magasin Eaton à Toronto avec des salles au 7e étage conçues par Jacques Carlu.

Pour en savoir plus sur les grands magasins nord-américains décorés par des français, lire cet excellent article, Les Grands Magasins, de Jacques Lachapelle paru dans Le fantasme métropolitain, L’architecture de Ross et Macdonald.

Diane Chasseresse, modèle de décor pour un grand magasin, Anne Carlu, peinture à l’huile, 1927, habituellement exposée au Musée des Années 30, Boulogne-Billancourt. Photographié par Nausica Zaballos

Dans le domaine militaire, la première guerre mondiale offre la possibilité aux artistes mobilisés de rencontrer des soldats nord-américains puis de faire des voyages aux États-Unis, favorisant ainsi l’essor d’un art-déco transatlantique. Plusieurs toiles d’Alexandre Zinoview sont ainsi exposées.

L’après-guerre marqué par la nécessité de commémorer la mémoire des hommes tombés au combat voit une prolifération de monuments aux morts qui s’inspirent de l’art déco. Pas étonnant donc que plusieurs salles soient consacrés au premier conflit mondial avec des objets, peintures, photographies ou estampes prêtées par l’American Battle Monuments Commission comme le morceau de carlingue d’avion montré plus haut. Mais les artistes français acceptent aussi de travailler aux États-Unis et conçoivent des ouvrages mémoriaux pour célébrer des batailles de la guerre civile nord-américaine ou les combats de la guerre d’indépendance.

Jacques Carlu, Projet pour le George Rogers Clark Memorial, Vincennes, Indiana, États-Unis Élévation principale, crayon, fusaint et lavis, 1930, 48 x 49 cm (© SIAF/Cité de l’architecture et du patrimoine/Archives d’architecture contemporaine)

Mais revenons à notre étrange morceau de carlingue. Il représente de toute évidence un guerrier amérindien. Bouche grande ouverte, toutes dents dehors, il symbolise la force au combat, de là à suggérer que l’escadrille qui portait ce symbole ne ferait aucun quartier des soldats allemands…

Ce chef indien porte une coiffe avec de magnifiques plumes, un détail attire l’œil des visiteurs : c’est bien une svastika qu’on distingue près de son oreille. Mais attention à ne pas commettre d’anachronisme ou d’amalgame comme j’ai malheureusement pu l’entendre parmi les personnes qui contemplaient ce bout de carlingue.

Avant la seconde guerre mondiale et l’utilisation de la svastika par le régime nazi, ce symbole est commun à de nombreuses civilisations qui lui confèrent un pouvoir spirituel. Un article de Daniel G. Brinton de l’American Philosophical Society, daté de 1889, recensait différents usages à travers le monde. D’après lui et les sources citées, les Indiens des Plaines peignaient la svastika sur des peaux de bisons (voir les observations du Colonel Mallery dans Pictography of the North American Indians, Fourth Annual Report of the Bureau of Ethnology, p. 239) et les Mayas lui associaient une signification temporelle.

Chez les Navajos, le symbole est connu sous l’expression Whirling log, ou tronc tournoyant. C’est un motif commun dans les tapisseries et les bijoux. Après la seconde guerre mondiale, tisserands et orfèvres abandonnent le motif mais depuis quelques années, de jeunes créateurs comme Melissa Cody l’incorporent de nouveau dans leurs œuvres, au risque de susciter polémique et incompréhension.

La jeune artiste navajo explique qu’elle souhaite se réapproprier un symbole positif synonyme de guérison physique et spirituelle qui a été dégradé et avili par l’usage nazi. [1]

Good Luck, avec motif de Whirling Log, Melissa Cody, 2014, copyright Garth Greenan Gallery.

D’après l’ouvrage de Dennis J. Aigner, The Swastika Symbol in Navajo Textiles, publié chez DAI Press en 2000, des membres des tribus Navajo, Papago, Apache et Hopi auraient signé en 1940 une déclaration commune condamnant l’utilisation du symbole par le régime nazi et proclamant la renonciation tribale à cet emblème : « Because the above ornament, which has been a symbol of friendship among our forefathers for many centuries, has been desecrated recently by another nation of peoples, therefore it is resolved that henceforth from this date on and forever more our tribes renounce the use of the emblem commonly known today as the swastika (…) on our blankets, baskets, art objects, sand paintings and clothing. »

Aujourd’hui, des collectionneurs et antiquaires regrettent que des sympathisants d’extrême droite continuent de s’intéresser aux tapis et bijoux Navajos pour leur représentation de whirling log. Ainsi, Leonard Brown se faisait un devoir d’expliquer à la journaliste du Colorado Public News l’origine des symboles présents sur ses tapisseries. [2]

Mais l’appropriation du whirling log par des non-Native précède l’utilisation du symbole par les nazis. En effet, comme le montre cette carlingue, cette tête de Sioux est l’adaptation militaire d’un célèbre dessin figurant sur les boîtes de munitions commercialisées par l’entreprise Savage Arms Company.

Le comble quand on sait les dégâts que causèrent les armes à feu et l’armée américaine parmi les Native Americans ! L’entreprise changea son logo et mit fin à l’appropriation culturelle en 2016.

[1] « Melissa Cody’s Whirling Logs: Don’t You Dare Call Them Swastikas », Indian Country News, 7 août 2013.

[2] « Those are sacred Navajo Symbols, Not Swastikas, On That Pueblo Art Collector’s Rug », CPR News, Hayley Sanchez, 15 août 2018.

 

 

 

 

 

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