Une rétrospective de l’oeuvre du photographe Weegee se tient jusqu’au 19 mai à la fondation Cartier. L’exposition prend soin de montrer les deux périodes artistiques de celui qui passa à la postérité pour ses clichés de scènes de crime macabres. Weegee est issu de l’immigration juive d’Europe de l’est et ses épreuves à priori sensationnelles racontent toutes une histoire singulière. Le photographe avait un sens inné du story-telling hérité de ses ancêtres yiddish et ses photos, souvent prises sur le vif, avant l’arrivée de la police ou des secours (ce qui lui vaudra une réputation de medium), n’en étaient pas moins très élaborées.
Les clichés de Weegee témoignent d’une époque. Elles documentent certes le développement de la presse sensationnelle (ou presse à caniveau, « gutter press » en anglais), mais elles montrent surtout, dans une lumière crue, l’envers du rêve américain. Enfants entassés sur un matelas de fortune, le corps couvert de piqures de puce, maman et jeune enfant chassés par les flammes qui ont détruit leur tenement (logement insalubre), surpopulation et métissage des quartiers new yorkais absorbant les différentes vagues d’immigration… Le caractère social des scènes de crime immortalisées par Arthur (Usher) Fellig (véritable nom de l’artiste) saute aux yeux.
La démarche artistique de Weegee est pleine de contrastes. L’homme cherche à révéler ce qui se cache derrière les apparences. Impossible de ne pas être interloqué à la vue du visage angélique du jeune meutrier qui vient d’être arrêté pour avoir étranglé un enfant. Weegee joue avec notre regard et se joue de nous. Il interroge nos tendances voyeuristes. De la même manière, si les travaux de sa deuxième période photographique distordent les visages de célébrités, c’est pour mieux montrer leurs faiblesses, et travers.
Les oeuvres sélectionnées par les commissaires d’exposition montrent aussi comment il intègre graduellement à sa mise en scène des hommes et femmes, de tout âge, eux-mêmes absorbés par la contemplation de la scène morbide, voire s’amusant de la présence du photographe qu’ils ou elles cherchent du regard. Bien avant Andy Warhol, Weegee se moque de notre désir inavouable de célébrité. Il photographie une jeune femme sur la plage de Coney Island qui sourit toutes dents dehors à son objectif alors qu’autour d’elle s’affairent les secouristes pour ranimer un homme, peut-être son ami, victime d’une noyade.
Impossible, en admirant les oeuvres de Weegee présentées à la fondation Cartier Bresson, de ne pas opérer un retour en arrière, dans ma mémoire. Je me suis remémoré le travail de mise en page, que nous avions fait, mon tout premier éditeur, Jean-Christophe Pichon, fondateur des éditions e-dite, et moi-même, pour l’élaboration de mon premier livre grand public Crimes et Procès Sensationnels à Los Angeles, paru en 2011. JC Pichon était – ou devrais-je écrire est car il est toujours vivant et il a publié recemment un excellent article sur l’écrivain argentin Jorge Luis Borges – un personnage bigger than life, qu’on aurait pu croire sorti d’un roman noir.
Fils de Jean-Charles Pichon, un occultiste, il est lui-même féru d’occultisme. Proche des milieux francs-maçons, il a publié quantité de textes pointus mais c’est aussi un amoureux des lectures de l’imaginaire, du fantastique, de la science-fiction, et des polars. Il avait d’ailleurs entrepris de faire découvrir à un nouveau lectorat (plus jeune) l’univers d’André Héléna, auteur de polars tombé dans l’oubli, en publiant toute son oeuvre. Pichon fils est aussi connu pour une anthologie sur les récits de littérature policière avec pour toile de fond le 13e et populaire arrondissement parisien.
Je ne l’ai jamais vraiment remercié comme il le méritait, car j’étais déçue de la faillite de sa maison d’édition placée en liquidation judiciaire en 2013, ce qui signifiait l’arrêt des ventes et de la promotion de mon ouvrage, un livre qui avait bien marché et connu un certain succès critique. Jacques Pradel m’avait invitée, moi, une parfaite inconnue, dans l’émission qu’il présentait alors sur RTL, L’heure du Crime pour parler de Crimes et Procès Sensationnels à LA. J’étais sur un petit nuage. Habituée aux publications universitaires qui ne rapportent rien (en termes d’argent) et que – presque – personne ne lit, je touchais mon premier à-valoir, un chèque d’un peu moins de 1000 euros, 989 euros et des poussières (quelques centimes), si je me rappelle bien, que je m’empressais de montrer toute fière à mes parents.
Pour réécouter le podcast de l’émission du 6 décembre 2011, L’heure du Crime, RTL : tous droits réservés RTL
Mon premier éditeur avait ses bureaux rue des Pyrénées, juste avant le pont de la rue Charles-Renouvier, du nom du philosophe qui a inventé le terme « uchronie« . Je me rappelle de tables sur lesquelles s’entassaient des manuscrits, des papelards en tout genre et aussi une trappe qui donnait vers son stock de livres… Un bazar sans nom avec dans un coin, sa fidèle Laurence, qui relisait les textes et s’occupait aussi des maquettes. Il y régnait un joyeux bordel et quand je pénétrais dans cet antre de fous de textes, j’avais aussi l’impression de me retrouver dans un Nestor Burma, de l’époque Guy Marchand. C’était un condensé de Paname gouailleur, peut-être aussi magouilleur sur les bords, prompt à dire et gueuler ce qu’il pensait. Avec Jean-Christophe Pichon, ça ne pouvait que clasher sur le long terme… pas forcément pour le côté bordélique de l’entreprise, ou même à cause de cette fascination pour les sciences occultes, qui moi me révulsait en cartésienne hard core, convaincue que tous les mediums sont des charlatans avides de pouvoir…
Non, plutôt à cause de ma jeunesse, de cette morgue qu’on a parfois avant 30 ans, et de mon parcours universitaire qui me créait des ornières. J’étais passionnée, je le suis toujours heureusement, mais je croyais dur comme fer à certaines manières de transmettre des savoirs, de communiquer, qu’heureusement, je me suis efforcée de désapprendre ces 10 dernières années. Pichon savait ce qui fonctionne en matière de textes. Bien sûr, en tant qu’éditeur, les livres qu’il défendait et qu’il publiait reflétaient ses goûts personnels, mais il prenait aussi des risques et faisait confiance à de jeunes auteurs, pourvu que l’idée soit intéressante et originale.
Crimes et Procès Sensationnels à LA l’avait séduit pour sa riche iconographie, en noir et blanc, pour son souci de la topographie de la cité des anges, mais aussi pour sa volonté de démystifier le crime. Oui, de jeunes hommes cultivés au visage d’ange comme Edward Hickman sont capables des crimes les plus sordides. Et oui, même si on a tendance à parler de « serial killers », les femmes tuent elles aussi. Je pense que dans son souci de poursuivre l’oeuvre occultiste du père, il y avait autre chose que l’héritage familial : peut-être le désir d’aller au-delà des apparences, de rechercher une certaine vérité en toute chose…
En 2010, lors de notre premier entretien téléphonique, peu avant de nous rencontrer, Pichon avait décrété : « Ne le prenez pas mal, mais vous écrivez comme un homme. C’est rare ça, les femmes qui écrivent comme des mecs. C’est pour ça que je veux publier votre bouquin. » Peut-être qu’aujourd’hui, une auteure féministe s’insurgerait contre cette remarque qu’elle aurait tôt fait de qualifier de mysogyne. Moi, je remercie Pichon, pour m’avoir offert ce premier coup de pouce qui fait, qu’ensuite, on ne s’arrête plus d’écrire.
Pour lire la très belle critique publiée dans k-libre, site spécialisé dans les littératures policières, et rédigée par Michel Amelin, auteur de nombreux romans chez Bayard, Pocket, Nathan, Rageot….cliquez ici.
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