Jules au pays d’Asha est le premier film de la réalisatrice québécoise Sophie Farkas Bolla. Auparavant monteuse, elle a collaboré avec de nombreux cinéastes autochtones.
Elle a ainsi travaillé pour Alethea Arnaquq-Baril sur le tournage d’Angry Inuk, un documentaire multi-primé (Toronto International Film Festival, Hot Docs festival…) sur la chasse aux phoques comme moyen de subsistance des Premières Nations. Sophie Farkas Bolla a aussi participé à la création de Beans, de la réalisatrice mohawk Tracey Deer qui avait pour toile de fond la crise de Oka.
Côtoyant ces réalisatrices autochtones, Sophie Farkas Bolla a été sensibilisée à la défense des droits des autochtones tout en ayant accès à de nombreux récits traumatiques. C’est pourtant un récit lumineux qu’elle nous propose, une ode à la réconciliation, avec un conte ancré dans les territoires de l’Abitibi-Témiscamingue, au sein de la communauté de Pikogan ou Première Nation Abitibiwinni.
A la lecture du résumé du film (l’amitié entre un petit orphelin allochtone atteint d’une maladie de la peau et une jeune autochtone vivant seule dans la forêt), on pouvait craindre le pire. Une œuvre tire-larmes, en costumes d’époque, l’action est censée se passer dans les années 1940.
Les écueils étaient nombreux : affubler le petit héros blanc d’une maladie qui conduit à son ostracisation – les villageois exigent qu’il ne fréquente plus l’école – n’était-ce pas postuler que pour que la rencontre entre non-indigène et autochtone advienne, il fallait être soi-même un peu marginal ? Comment, n’étant soi-même pas autochtone, la réalisatrice pouvait-elle rendre compte de l’histoire d’un peuple à moitié décimé ?
Pour sa première oeuvre, Sophie Farkas Bolla accouche d’un film à la fois magique et sensible. Elle évite de tomber dans le piège du misérabilisme et de la récupération en ayant pris soin de construire une histoire solidement documentée : elle a rencontré des aînés à Pikogan, elle a consulté des archives de l’époque, hélas toutes écrites d’après le point de vue non autochtone… La réalisatrice a aussi tenu à ce que des acteurs Anichinabés parlant la langue anishinaabemowin jouent les personnages autochtones.
Les amoureux des productions du Wapikoni Mobile reconnaîtront peut-être le réalisateur Kevin Papatie (excellent), dans le rôle de Niimi. La réalisatrice a aussi bénéficié de l’expertise de la réalisatrice Kim O’Bomsawin, connue en France pour son portrait de la poétesse Joséphine Bacon (Je m’appelle Humain, 2020), et ici productrice. Ce qui distingue aussi le film d’une simple production à destination des enfants est l’importance accordée aux décors qui sont plus que de simples faire-valoir. Mention spéciale au directeur photo, Simran Dewan, qui a fait un travail remarquable.
De la chambre de Jules (grenier confiné poussiéreux qui, heureusement se transforme rapidement en terrain d’exploration et machine à rêves) aux immensités forestières, les différents lieux visités reflètent ou impulsent de nouveaux sentiments. Emerveillement devant le spectacle des lucioles, désolation face aux arbres abattus ou calcinés, apaisement et acceptation devant un lac, avant le grand voyage…
A l’exception de l’oncle, personnage raciste antipathique à la recherche du profit, les forces antagonistes restent de simples ombres projetées sur le campement et les arbres par les torches de feu dévastatrices… Une manière peut-être de toujours rester optimiste malgré le génocide et de renvoyer ces hommes pitoyables à ce qu’ils sont : des êtres habités par les ténèbres dont personne ne se souviendra avec amour… Malgré la noirceur du sujet, le film n’est pas exempt de touches d’humour, souvent là pour désamorcer la puissance du stéréotype.
Ainsi, l’encyclopédie pour enfants qui est d’une certaine manière à l’origine de la rencontre entre Jules et Asha est tournée en ridicule et met en garde le spectateur contre une vision trop rousseaunienne du « bon sauvage. » Le curé catholique, un couard qui considère la maladie de Jules comme une marque du démon ou des turpitudes morales de ses parents, en prend aussi pour son grade et le personnage de la maman de Jules, infirmière généreuse, symbolise à lui seul l’affrontement entre savoir médical et obscurantisme. Le film évite aussi de verser dans l’angélisme en montrant comment le racisme peut être intériorisé par les plus jeunes : lorsque Jules voit Asha pour la première fois, il l’accuse de voler son chien alors qu’elle l’avait juste nourri. Le garçonnet, encore curieux et ouvert de nature, modifiera son regard au contact de la jeune autochtone et de Niimi mais c’est hélas trop tard pour son frère aîné qui a fait sienne les valeurs racistes des grands.
L’universalisme du message porté par ce film émouvant tient certainement à la forme adoptée par la réalisatrice pour mettre en image cette rencontre par-delà les origines et d’une certaine manière le temps. Avant de tourner Jules au pays d’Asha, Sophie Farkas Bolla avait réalisé deux courts métrages sous la forme de contes : Istvan et la truite à fourrure et Au temps des monstres. Si les tenues de Jules reflètent la mode des années 1940, le film pourrait se passer aujourd’hui, dans des pays ou territoires en proie à des affrontements mus par des intérêts économiques, où des enfants issus de communautés distinctes se voient interdire par les adultes de jouer ensemble. Quant aux arbres, ils crient leur désespoir et parlent, à la manière des Ents, si chers à Tolkien. Prédation de l’homme sur la nature, guerres fratricides, des sujets contemporains qui semblent hélas avoir été matière aux contes depuis la nuit des temps.
En France, le film sortira le 18 décembre. Un livre tiré du film est disponible chez Bayard Canada. Des fiches d’exploitation pédagogique sont proposées par l’éditeur.
18 décembre 2024 en salle | 1h29min | Drame
De Sophie Farkas Bolla
|Par Sophie Farkas Bolla, Sarah Lalonde
Avec Alex Dupras, Kevin Papatie, Gaby Jourdain