Ce week-end, l’opéra Bastille a dit au revoir à la petite renarde rusée. Ce personnage, créé par le compositeur tchèque Leoš Janáček, défie les pouvoirs en place. Capturée petite par un chasseur qui souhaite l’offrir comme jouet à ses enfants, la renarde malicieuse parvient à s’enfuir, après avoir semé la zizanie – par ses discours féministes et libertaires – dans le poulailler. Le coq est bien sûr l’incarnation du patriarcat dans toute sa splendeur.
L’opéra de Leoš Janáček se révèle déroutant. A la fois daté – par une réflexion antisémite sur l’appât du gain, et une vision vénale de la femme – et moderne par son appel à la rébellion et à la liberté, cette ode à la nature est une fable écologiste avant l’heure.
Les représentations qui se sont tenues du 15 janvier au 01 février 2025 à Paris laissent un souvenir mémorable pour la richesse des décors (scénographiés par Nicky Rieti) et des costumes (créés pour la première fois en 2008 par Elizabeth Neumuller) utilisés dans une mise en scène sobre mais percutante, avec ce cerf-volant qui se meut, inexorable, comme le drame en préparation.
Dans quel opéra voit-on une sarabande d’insectes virevolter au milieu d’un champs de tournesols ? Là, un escargot s’avance au ralenti sur ce qui ressemble à une poutre, tel un funambule. A gauche, deux moustiques armés d’une seringue prélèvent du sang sur l’infortuné chasseur assoupi. Plus loin, c’est l’araignée qui tisse sa toile tandis que mouche, libellule et mante religieuse vaquent à leurs occupations.
La présence de nombreux enfants, dans les choeurs et parmi les spectateurs, pourrait réduire cet oeuvre lyrique à sa dimension enfantine. Certes, l’histoire est simple et pourrait être résumée à cette formulation lapidaire : vie et mort d’une renarde. Mais l’ambiguité des personnages, tour à tour attirés puis révulsés par l’attitude moqueuse, irréductible de la renarde, double facétieux d’une femme indomptable mais irrésistible, offre de multiples champs de lecture. L’itinéraire du chasseur, qui à la fin, pleure avec sincérité – et même désespoir – la mort de la renarde, sous les balles d’un autre as de la gachette, plaide pour une autre approche de la Nature.
Monde animal et humains ne doivent pas s’opposer, ils peuvent vivre en harmonie. Le chant de désolation du chasseur qui avait connu et élevé la renarde plaide pour un usage raisonné de la chasse. On peut être chasseur et amoureux de la Nature, soucieux de préserver ses ressources.
Respect de la nature et usage contrôlé des ressources environnementales sont la clé de voûte des actions menées par les agents de l’OFB (l’Office français de la biodiversité) en grève depuis le 31 janvier. Cet appel à la grève concerne 3 000 agents dont 1 700 inspecteurs de l’environnement chargés de faire respecter la réglementation environnementale.
Cette grève inédite des forces de police de l’environnement est symptomatique des tensions qui traversent le monde paysan aujourd’hui. Avec d’un côté, de petites structures, souvent maraîchères, orientées vers / ou membres de la filière bio, et de l’autre des fermes aux mille vaches, des éleveurs ou fermiers adeptes de l’agriculture intensive sous pesticides, et des bêtes, gavées aux hormones, en bétaillères. On pourrait citer le nom des deux syndicats représentatifs de ces tendances mais les liens adossés aux mots clefs en gras suffiront à les identifier. A quoi bon pour les fermiers adeptes du profit et de la malbouffe respecter l’interdiction de non-taillage des haies ?
Dans un article du Monde daté du 27 avril 2023, le journaliste alertait sur la disparition de 70% des haies pour les bocages français depuis 1950, alors que ces dernières jouent un rôle primordial contre l’érosion des sols, les inondations etc… Sans compter que les haies sont des réservoirs de biodiversité, ont un effet brise-vent et protègent du soleil les élevages…
Les agents de l’OFB sont censés faire appliquer des lois, ou des directives légales, et notre monde semble de plus en plus marcher sur la tête.
Où l’on exhorte la jeunesse et les citoyens de toutes les Nations à respecter l’environnement, à protéger la terre, à faire des économies d’énergies (pour préserver les ressources naturelles) et où les organismes et fonctionnaires chargés de faire appliquer les lois garantissant la protection de la planète doivent faire profil bas, et surtout fermer les yeux sur les agissements délictueux de cowboys fermiers corrompus.
« « C’est du même ordre que si les dealers demandaient aux policiers de ne plus venir dans les cités pour empêcher le deal », a réagi le 15 janvier sur France Inter Benoît Pradal, inspecteur de l’environnement en Savoie. »
Et lorsqu’on rétorque aux agents de l’OFB qu’ils étranglent, par leurs contrôles, amendes et condamnations, les fermiers, là encore les chiffres – qui ne mentent pas – indiquent tout autre chose : « Les bilans annuels démontrent qu’on est loin du harcèlement. « En 2023, sur les 21 635 contrôles administratifs réalisés par l’OFB, seulement 2 759 concernaient des agriculteurs, soit moins de 13 % des cas. À ce rythme, avec une moyenne de 17 agents par département, la direction de l’OFB estime qu’un agriculteur français risque d’être contrôlé une fois tous les 130 ans », indique l’EFA-CGC. »
J’ai longtemps publié de courts articles sur la situation des Premières Nations face aux multinationales de l’énergie aux USA et, notamment les menaces que fait peser (et qu’a fait peser) l’administration Trump. Le président nord-américain qui s’est écrié : DRILL DRILL (on fore, on fore) a organisé le démantèlement de décennies de politiques de protection de l’environnement. Après le scandale du fracking, nul doute que les rares endroits encore non pollués le seront, transformant les USA en immense décharge.
Mais qu’adviendra-t-il en France si fermer les yeux sur l’épandage des pesticides ou ne plus respecter des régulations nécessaires à une alimentation saine et non toxique deviennent normal ?
La ligue de protection des oiseaux ne cesse d’alerter sur la disparition des petits passereaux et des rapaces des zones agricoles. Foncièrement, nous avons désormais plus de chance d’entendre le chant d’un rouge-gorge ou d’un roitelet à triple bandeau dans un jardin municipal parisien (ou celui d’une autre ville n’utilisant pas de pesticides) qu’à la campagne !
Si les Premières Nations sont sources d’inspiration pour repenser notre rapport à l’environnement, d’autres éclaireurs peuvent nous guider. Leoš Janáček par exemple dont la petite renarde rusée (premier opéra en langue tchèque en plus d’être écolo) était aussi un cri de révolte contre la soumission des Habsbourg. Mais également J. R. R. Tolkien avec ses arbres soldats, les Ents, combattant pour préserver la Terre du Milieu du mal et des dangers de la forge, des armes et du feu, aux côtés de Tom Bombadil ou Radagast le sage.
SOUTIEN aux camarades de l’OFB !
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Rivendell, illustration du Hobbit [1937] Oxford, Bodleian Library, MS. Tolkien Drawings 27 © The Tolkien Estate Ltd 1937.
Sources :
- « On a l’impression d’être jetés en pâture » : en grève, les agents de l’OFB dénoncent les attaques dont ils font l’objet. Rose Amélie Becel. Public Sénat. 31 janvier 2025.
- « Après les dégradations subies par l’OFB, des associations témoignent leur soutien à Carcassonne. » La Dépêche, lundi 3 février.
- « Tolkien, technocritique et héraut d’une écologie de combat. » Emilie Massemin, Reporterre, 24 décembre 2019.
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