La nouvelle administration Trump a beaucoup fait parler d’elle à la suite des déclarations à l’emporte-pièce de son président à propos des visées expansionnistes des USA. Si son désir d’acheter le Groenland et de faire du Canada un énième état américain a fait couler beaucoup d’encre, la presse s’est moins alarmée des coupes budgétaires dans l’administration fédérale.
Les conséquences ne se résument pas uniquement à une vague de licenciements sans précédent dans l’histoire du pays (et cela au mépris du statut de fonctionnaire, protégé par des lois, même là-bas).
En éloignant de la vie publique, du salariat et des institutions garantes de démocratie et d’équité des fonctionnaires qui disposent d’une certaine autonomie face au pouvoir réactionnaire, Trump et ses sbires musèlent dans un premier temps toute résistance puis plongent dans la misère ce qui reste de classe moyenne aux Etats-Unis.
Ces licenciements permettent aussi à l’administration Trump d’avoir les mains libres, en embauchant à la place des fonctionnaires des contractuels peu formés et surtout bien dociles, qui ne s’opposeront pas – par crainte peut-être de perdre à leur tour leur emploi ou par adhésion à l’idéologie réactionnaire de Trump – à la fin des programmes éducatifs, sanitaires promouvant la justice et l’équité sociales.
Comme le confiait à TF1 Romuald Sciora, directeur de l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis de l’IRIS, plusieurs juges fédéraux se sont heureusement opposés à certaines lois et décrets (anticonstitutionnels) entrainant la fermeture des agences fédérales, mais le processus n’est pas pour autant arrêté, juste retardé.
Les coupes budgétaires qui affectent de nombreuses agences gouvernementales étatsuniennes pourtant indispensables au fonctionnement du pays (je songe notamment aux Centers for Disease Control chargés de mettre en place une politique de surveillance épidémiologique) s’accompagnent de mesures visant à limiter aux maximum toute coopération internationale, ce qui à court terme peut être dangereux non seulement pour les Etats-Unis mais pour le reste de la planète. Trump a ainsi demandé aux CDC de cesser toute communication et travail avec l’Organisation Mondiale pour la Santé (OMS).
Lors de mes séjours dans la réserve navajo, j’avais pris les précautions nécessaires (préconisées par les Centers for Disease Control et la Nation Navajo) pour ne pas m’exposer à plusieurs virus qui sont endémiques (mais peu mortels) dans l’ouest américain : je songe notamment au virus du Nil, au hantavirus…
Avec la fermeture des CDC et cette « omerta » qui se met en place, les campagnes de prévention ou de coordination avec des régions ou pays limitrophes risquent de disparaître…
Les raisons économiques qui poussent l’administration Trump à fermer des services gouvernementaux se doublent de considérations idéologiques réactionnaires, et parfois carrément délirantes.
En pleine explosion de cas de rougeole dans l’ouest des Etats-Unis, les pages internet des CDC indiquant la marche à suivre en cas de contagion ont été supprimées (laissant ainsi familles, médecins et éducateurs dans le désarroi) parce qu’elles contenaient des mentions sur le genre !
Je cite l’article de CBS news : « Agency officials had scrambled last month to scrub all mentions of « gender » from their websites, taking down anything that could not be easily rewritten. That prompted a lawsuit by the nonprofit Doctors for America, which secured a federal court ruling to temporarily restore the list of webpages that the group had cited in their filings by the end of the day on Tuesday. However, access to federal health resources on several topics not specifically mentioned by the group has not been restored, like the CDC’s recommendations on who should be vaccinated for mpox during the ongoing outbreak, which remains offline. »
Un autre exemple de dérive fascisante idéologique est la suppression pure et simple des pages internet honorant la mémoire des vétérans noirs ou amérindiens.
Du jour au lendemain, le pentagone et d’autres agences gouvernementales, ont cessé de mentionner les noms de soldats – notamment les Codes Talkers navajos dont j’ai déjà parlé sur ce site – qui avaient risqué leur vie pour les USA et l’Europe pendant la seconde guerre mondiale et qui avaient été, à juste titre, décorés par le gouvernement américain, juste parce qu’ils étaient noirs ou amérindiens !
Si au vu de la polémique qui a suivi, certaines pages (pas toutes !) ont été restaurées, ce genre d’initiative – pour ne pas employer un autre terme – est dans la continuité d’un certain salut – qui n’était pas « nazi » dixit son auteur – et qui n’a finalement pas suscité l’indignation qu’il méritait.
Invisibiliser certaines populations, les réduire au silence, omettre toute mention aux différents groupes racisés qui ont contribué à make America great permet de réécrire l’histoire en faisant oublier aux jeunes générations que le garant d’une démocratie est d’abord une mixité sociale, culturelle et économique.
C’est aussi une manière, après avoir dressé les populations les unes contre les autres, de désigner certains groupes comme boucs-émissaires… On connaît la suite.

courtesy Chip Thomas, artiste, médecin et militant, qui a coordonné plusieurs projets dans la réserve navajo.
Sources :
- « Some CDC health data and webpages still offline after judge’s order », Alexander Tin, 13 février 2025, CBS News.
- « People are going to get sick’: Fired HHS scientists protest federal terminations », Hannah Demissie et Selina Wang, 19 février 2025, ABC News.
- « My dad didn’t go to war for nothing’: Pentagon scrubs Native American heroes from website. Department of Defense deletes Code Talkers, Iwo Jima flag raiser Hayes under Trump’s DEI order », Shondiin Silversmith, 19 mars 2025, Indian Country Today and Arizona Mirror.
- « Pentagon restores webpages of Black veterans, Navajo Code Talkers and others after outcry »,Tom Bowman, 20 mars 2025, NPR.
- « Pentagon restores Navajo Code Talkers histories after outcry. Defense Department has yet to restore history of Iowa Jima flagraiser Ira Hayes, Pima », Terry Tang, Indian Country Today, 21 mars 2025.
- « DOD, Army websites scrub articles on Navajo Code Talkers. Here’s how that may change », Arlyssa D. Becenti, 18 mars 2025, Arizona Republic.
- « Code Talkers Were America’s Secret Weapon in World War II« , Laura Tohe, Humanities, Summer 2022, Volume 43, Number 3.
- Zaballos, Nausica « Remembrance of Navajo Code Talkers on Screen », chapitre dans l’ouvrage collectif Memory in/of English-speaking Cinema : Le Cinéma comme vecteur de la mémoire dans le cinéma Anglophone, dirigé par Zeenat Saleh et Melvyn Stokes, chez l’éditeur Michel Houdiard.




