Le terme Voie désigne une cérémonie navajo. Il existerait aujourd’hui une trentaine de Voies.
Certaines ont disparu faute de pouvoir être transmises à la mort des hataali qui les réalisaient.
Celles qui sont menacées de disparition comme la Voie de la Perle, la Voie de l’Eau, la Voie de la Plume, la Voie de la Fourmi, la Voie du Serpent et la Voie de l’Aigle sont enseignées en priorité aux hataali qui prennent part au programme de formation financé par le Conseil Tribal.
Les Voies permettent soit de restaurer l’harmonie –hozho– et de guérir le patient (Voie de la Nuit, Voie de la Bénédiction) soit de se prémunir ou de se défendre contre des agents pathogènes (Voie de l’Aspiration).
La réalisation des cérémonies navajo implique une mise en scène d’événements appartenant au passé mythique du Peuple. La Voie fait le lien entre le passé sacré et le présent profane. Les cérémonies navajo sont la reconstitution –à travers la médiation picturale et les chants- d’épisodes qui relatent la première occurrence de certaines maladies.
Selon les mythes navajo, chaque maladie trouve son origine dans le passé. Il suffit au patient de se plonger dans l’histoire communautaire, de se remémorer les aventures des héros mythiques et de leurs alliés ou ennemis –les Yei – pour identifier le comportement qui a engendré mal-être et souffrance.
Les manifestations de la maladie – dysfonctionnement organique ou psychique- entravent le lien social. Mais, selon l’étiologie navajo, l’apparition du mal est déjà en elle-même symptomatique de comportements ou d’attitudes qui vont à l’encontre des enseignements transmis par les Yei.
Pour empêcher la maladie, la mesure doit gouverner toute interaction sociale. Les patients originels sont souvent des individus relégués par leur communauté aux marges de la société. Vantards ou au contraire trop timides, ils doivent affronter leurs peur et prendre conscience de leurs limites pour acquérir la sagesse et la force nécessaires à leur guérison.
A travers la représentation picturale, le hataali rappellera au patient quels sont les tabous à ne pas transgresser et comment s’assurer une bonne vie à l’abri des attaques des sorciers.
La Voie est donc un chemin permettant de passer d’un état de mal-être à un état de renouveau psychique, physique et affectif: les trois dimensions étant étroitement liées dans le traitement de la maladie.
La Voie est également le moyen dont se sert le hataali pour parvenir à son but. Lors de la Voie de la Beauté, le hataali réintroduit dans la vie du patient un élément de perfection sublime afin qu’il reprenne goût à la vie. De la même manière, la Voie de la Perversion, cette fois-ci utilisée par les sorciers, comportera des pratiques pervertissant la symbolique des autres Voies afin de rendre le sujet (ou plutôt l’être humain considéré comme objet) conciliant et réceptif à l’action des porteurs de peau. Pour que la guérison soit effective, il faut donc qu’il y ait une identification entre le patient et le héros mythique représenté par la peinture de sable.
Presque toutes les Voies découlent de la Voie de la Bénédiction. La Voie de la Bénédiction décrit la naissance providentielle de Femme Changeante. De son accouplement avec le soleil naîtront les Jumeaux Héroïques qui extermineront les monstres issus des désordres sexuels des premiers Navajo.
La Voie de la Bénédiction est l’archétype des Life Ways. Ces Voies sont utilisées quand vous vous rendez au tribunal, pour l’achat d’une maison, avant de postuler à un emploi, subir une intervention chirurgicale, acheter ou vendre un cheval, une voiture, réparer des machines, faire de l’équitation, voyager, en cas de fortes neiges.
Déroulement d’une cérémonie.
Les rites évoqués ci-dessous ne sont pas réalisés dans l’ordre chronologique qui correspond à leur description sur cette page. Des rituels de purification peuvent intervenir à tout moment de la cérémonie, bien qu’ils aient traditionnellement lieu avant la confection de la grande peinture de sable. Les Voies navajo durent plusieurs jours: la confection de la peinture de sable ne constitue pas l’apogée du cycle rituel. De plus, lors des cérémonies longues comme la Voie de la Nuit, plusieurs petites peintures de sable peuvent être réalisées avant que la guérison effective du patient ne soit signifiée picturalement.
Les rites de purification…
Avant de s’allonger ou de s’asseoir sur la peinture de sable qui a été réalisée à son intention, le patient -celui pour qui l’on chante- doit se purifier. Cette première étape vers la guérison permet d’extraire le mal du patient et d’être présentable aux Yei qui viendront se presser autour du corps du malade, attirés par l’offrande sacrée que constitue la peinture de sable, miroir de leur beauté.
Plusieurs types de rites de purification existent:
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utilisation du feu » le patient doit enjamber des tisons de bois,
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bains de sueur dans la loge de sudation
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ingestion d’émétiques,
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shampoing au yucca…
« Il utilise son panier cérémoniel, il le retourne et s’en sert comme d’un tambour…et pendant le chant, avec la racine de yucca, il crée une écume savonneuse (…) Vous vous dépêchez de prendre le bain et vous vous lavez les cheveux, ensuite vous revêtez une partie de vos vêtements et vous marchez autour du feu…Puis, vous revenez à votre point de départ pour constater que dans l’intervalle, il a réalisé une petite peinture de sable sur le sol du hogan. Vous devez réaliser ce qu’il vous ordonne de faire en utilisant la partie droite de votre corps puis la partie gauche…et vous posez vos mains et vos pieds sur la peinture sèche…Il vous y rejoint et s’asseoit dessus…il prie pour vous en utilisant du mais pour vous sécher. »
Extrait de AIOHC Navajo Transcripts, American Indian Oral History Collection, 1967-72, MSS 314 BC, Center for Southwest Research, University of New Mexico, Albuquerque, cassette # 286B.
L’importance du bain dans la préparation de la cérémonie est évoqué dans un mythe mettant en scène Dieu-qui-Parle et Celui-qui-s’élève-seul :
Avant de venir en aide à Celui-qui-s’élève-seul, Dieu-Qui-Parle lui ordonna ‘Au bout de quatre jours, tu pourras me recevoir. Mais avant ma venue, purifie ta demeure et ton être. Fais balayer le sol de ta maison et tout autour ton foyer. Emmène les cendres à l’extérieur. La nuit précédent mon arrivée, lave ton corps et tes cheveux avec du yucca et fais agir ta nièce de la même manière.’ [1]
Les cendres protègent l’homme des dangers non-identifiés. Autrefois, les chasseurs navajo revêtaient des habits de couleur grise. Aujourd’hui, elles continuent de faire partie intégrante desrituels de protection ou d’exorcisme.
Le hataali les répand à l’extérieur du hogan cérémonial avant le lever du soleil afin d’éloigner les mauvais esprits qui auraient pu se manifester au chanté pendant la nuit.
Leur dissémination doit être réalisée avec de nombreuses précautions. Il nefaut jamais s’en débarrasser de jour face au soleil car cela constitue une insulte aux Yei qui éviteront d’emprunter le « chemin », la trace laissée par les cendres menant au hogan. Le « Chemin des Cendres » réalisé dans de mauvaises conditions peut avoir une action contraire à celle escomptée. On l’appelle alors le « Chemin de la Pauvreté », une allusion à l’indigence spirituelle et morale qui peut accompagner la maladie.
La couleur noire parfois associée aux cendres possède de multiples connotations, parfois antinomiques :
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elle est menaçante car elle évoque les ténèbres
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elle protège celui qui la porte car elle lui confère l’invisibilité.
Dans les peintures de sable, la couleur noire est présente au Nord – direction du danger et du malheur – mais elle peut également être présente à l’Est, lieu de Vie et d’Espoir.
Dans le mythe des Jumeaux Guerriers, les ténèbres étaient deux couvertures qui protégeaient le berceau des deux héros. Ces derniers les utilisèrent pour se dissimuler en approchant la demeure de leur irascible père, le Soleil.
La couleur noire des cendres permet de guérir et de chasser les fantômes. Pendant la guerre de Corée et du Vietnam, les appelés navajo qui quittaient la réserve recevaient une Voie de l’Ennemi au cours de laquelle, leur visage était peint avec des pigments noirs et de la cendre.[2]
Le pollen de maïs peut également être utilisé pour bénir le patient ou les objets cérémoniels. Regénérant, purificateur, le pollen de mais est si important dans la culture navajo que même les habitants de la réserve convertis au christianisme continuent de l’utiliser.
Le Père Franciscain Ron Walters affirme:
Le Navajo souhaite qu’il y ait des rituels partout mais ce n’est pas simple d’organiser des cérémonies qui correspondent à leurs besoins culturels. Nous devons être attentifs à ce que nous incorporons dans la liturgie…Prenez par exemple l’eau. L’Eglise fut construite sur un ruisseau qui devait être utilisé pour les baptêmes. Puis, nous avons érigé une fontaine mais l’eau n’est pas abondante dans le désert, elle est précieuse. Les Navajo établissent une correspondance entre le pollen de maïs et l’eau bénite. Nous ne pouvons pas mettre du maïs dans la fontaine. Nous ne pouvons pas asperger nos Saints avec du maïs mais certaines statues à l’intérieur de l’église sont recouvertes de pollen de maïs. Nous les nettoyons mais le pollen reste collé aux statues. Nous pouvons donc utiliser du maïs à la place de l’eau. Nous pouvons incorporer certains éléments navajo à l’Eglise mais nous les utilisons toujours de manière utile.[3]
Il est également parfois présent lors de cérémonies inaugurales officielles pour porter chance à l’édifice ou au projet célébré.
Le pollen est versé sur la tête et les membres supérieurs du patient. La bénédiction par le pollen ne se limite pas aux Voies, elle peut intervenir à tout moment, à tout âge. Ainsi, le nouveau-né est béni avec de la poudre de pollen lorsqu’il pousse son premier cri. Les familles l’utilisent pour consacrer leur demeure et la protéger de toute influence malveillante.
Selon Matthews, le pollen garantit sérénité et bonne santé :
Le pollen est le symbole de la paix, du bonheur, de la prospérité, et il est supposé apporter tous ces bienfaits à l’homme. Lorsque dans la légende des origines, un des Dieux de guerre ordonne à son ennemi de poser son pied dans le pollen, il lui impose de conclure la paix. Quand dans une prière, le fidèle énonce ‘Que la piste soit de pollen’, il demande aux Dieux de jouir d’une vie heureuse et pacifique.[4]
Le chanté est invité à laisser son corps s’imprégner de pollen:
Abandonne tes pieds au pollen. Abandonne tes mains au pollen. Abandonne ta tête au pollen (…) Ton corps est le pollen, ton esprit est le pollen, ta voix est le pollen. La piste est belle. Sois tranquille.[5]
La Voie du Projectile comporte une louange adressée au pollen par l’intermédiaire de Dieu-qui-Parle :
Que m’instruise le pollen de l’aube, sur ma poitrine déposé. Que m’instruise le pollen du crépuscule, sur mon dos déposé. Que m’instruise le pollen du petit tourbillon de la terre, sur la plante de mes pieds déposé. Puissé-je marcher instruit par le pollen de l’oiseau bleu, du ciel et du rayon de soleil, sur le sommet de ma tête déposé (…) Sur le chemin de la connaissance, je marche.[6]
Le pollen, agent purificateur et principe de vie, symbolise la connaissance, garante de santé dans la spiritualité navajo.
Le pollen, élément précieux et ô combien fragile, symbole d’ensemencement, est transporté au gré du vent. Il est donc soumis aux aléas des forces atmosphériques comme l’est chaque patient potentiel face à l’adversité et à la maladie.
Les mouvements tournoyants du pollen rappellent aux Navajo que l’on ne peut prétendre tout contrôler. Cependant, comme il permet de féconder jusqu’aux endroits les plus éloignés, il représente la force de la vie. Dans de nombreuses peintures de sable, le contour des sabots et des pattes des buffles est dessiné en jaune car ces animaux contribuent à répandre le pollen.
Le pollen est associé à de nombreuses divinités responsables de la maturation du maïs comme Garçon Maïs Blanc, Fille Maïs Jaune, Garçon Pollen et Fille Coléoptère.
La nature du pollen est double : à la fois aliment pour les humains (il restaure les forces des malades et fait grandir les récoltes), il est aussi l’offrande offerte aux Yei.
[1] Matthews, Washington. Navaho Legends. University of Utah Press: 1994, p.163.
[2] Robert Johnson, entretien du 20 juillet 2006.
[3] Ron Walters, 24 juillet 2006, St Michaels.
[4] Matthews, Washington. « Navaho Legends », Memoirs of the American Folklore Society, 5, 1897, p.109.
[5] Matthews Washington. « Navaho Legends », Memoirs of the American Folklore Society 5 (1897), p.109.
[6] Crossman, Sylvie, Barou, Jean-Pierre. Hozho Peintures de guérison des Indiens Navajo, Montpellier : Editions Indigènes, 2002, p.71-72.
Identification aux Yei ou aux héros originels.
Avec l’identification du chanté au héros mythique, identification qui culmine lorsque le corps du malade entre en contact avec la peinture de sable qui retrace ses aventures et sa quête de l’harmonie, une filiation imaginaire – nourrie par le recours aux archétypes qui renforcent la thématique du double– est instituée.
Cette filiation trouve une résonance particulière dans la relation qui unit le chanté au chanteur, le praticien navajo. Tel un père aimant mais ferme, le hataali reproduit les gestes qui redonnent la santé pour un des fils de la Création. Ce qui se joue à chaque Voie, c’est le caractère sacré de la transmission des savoirs.
La plupart des protagonistes des mythes navajo sont des êtres humains ordinaires qui deviennent des paradigmes et des normes de référence après avoir surmonté de nombreuses épreuves exemplaires aux yeux de la communauté. Pourtant, seules les faiblesses du héros permettent l’identification du patient au souffrant mythique. Les Voies rétablissent un lien de confiance entre le hataali et le chanté (le malade). Les récits mythiques décrivent la renaissance sociale du héros. Les symptômes de la maladie sont l’immobilisme, l’apathie ou l’excès, attitudes qui contraignent le patient à évoluer en marge de la société.
Si le patient peut s’identifier au héros originel en identifiant les traits de caractère ou les erreurs qui auraient pu concourir à l’apparition de la maladie, cette identification est facilité par la recréation d’épisodes du mythe. Lors de la Voie de la Nuit, des danseurs masqués font irruption dans le hogan. Toute la communauté est mise à contribution à la représentation du passé sacré et parents, voisins ou amis peuvent être amenés à incarner les divinités navajo.
http://curtis.library.northwestern.edu/curtis/ocrtext.cgi?vol=1Pieds et poings liés, démembré et libéré
Une étude publiée par l’Indian Health Service en janvier 1999 montre que sur un échantillon de 300 Navajo interrogés entre juin et septembre 1997, ceux qui avaient eu recours aux services d’un hataali souffraient de maladies qui « immobilisent » métaphoriquement ou littéralement le patient : l’arthrite, les douleurs de dos, la dépression et une série de troubles désignés par « la mauvaise chance. »
Les patients qui avaient eu recours aux Voies décrivaient leur incapacité à évoluer harmonieusement au sein du groupe social. Cette incapacité pouvait être soit un handicap physique causé par un réel dysfonctionnement organique soit un trouble psychique tout aussi invalidant.[1]
Le chanté rechigne à se montrer en public car la maladie – manifeste ou non en son corps – le distingue des autres. Il se met lui-même au ban de la société. Cette paralysie physique ou psychique qui entrave la création du lien social peut être guérie par la Voie de la Nuit.
Les représentations du malade dans les cérémonies navajo, qu’elles soient picturales ou chantées, évoquent souvent l‘impuissance du patient originel à agir, à se défendre contre la maladie. Lorsqu’il n’est pas réduit en miettes, victime d’assauts ou d’attaques par Tonnerre d’Hiver, son corps est ligoté à une frêle embarcation ou entraîné au fond de la rivière San Juan. Le démembrement est également un motif récurrent des Voies.
Mais, si le patient originel ne peut rien contre ces agressions, il sait qu’il peut compter sur l’assistance de Yei, notamment Tueur de Montres et Né de l’Eau.
Mélopée de la Voie de la Nuit, retranscrite par Washington Matthews (2ième nuit):
Sur une terre divine il marche à grands pas,
Sur une terre divine il marche à grands pas,
Voilà Tueur-de-Monstres qui marche à grands pas,
Tout en haut sur les sommels il marche à grands pas,
Sur une terre divin e if marche à grands pas.
Sur une terre divine il marche à grands pas,
Sur une terre divine il marche à grands pas,
Voilà Enfant-de-I’Eau qui marche à grands pas,
Plus bas sur les collines il marche à grands pas,
Sur une terre divine il marche à grands pas.
Grâce au hataali, le malade a pu identifier l’origine de son mal: il a de nouveau accès à la connaissance. Son corps, meutri, gisant dans les mondes inférieurs synonymes de désordre et de souffrance, peut être reconstitué et transporté jusqu’au monde scintillant, à la surface de la terre, au centre du hogan où se tient la cérémonie.
Tueur de Monstres avec sa baguette noire ouvre un passage pour moi.
Derrière lui, Enfant Né de l’Eau avec sa baguette bleue ouvre un passage pour moi jusque
Là où gisent mes pieds,
Là où gisent mes membres,
Là où gît mon corps,
Là où gît mon esprit,
Là où gît la poussière de mes pieds,
Là où gît ma salive [2],
Là où gît ma chevelure (…)
De nouveau à l’endroit d’où je peux voir dans quelle direction se dresse mon hogan,
Dieu qui Parle avec sa baguette blanche ouvre un passage pour moi (…)
De nouveau vers l’arrière de mon hogan,
Dieu-qui-Parle avec sa baguette blanche ouvre un passage pour moi (…)
Il s’assied après moi (…)
Là où gisent mes pieds,
Là où gisent mes membres,
Là où gît mon corps,
Là où gît mon esprit,
Là où gît la poussière de mes pieds,
Là où gît ma salive, là où gît ma chevelure. »[3]
[1] « Navajo Use of Native Healers » The IHS Primary Care Provider, volume 24, n°1, janvier 1999.
[2] La salive tout comme les cheveux mentionnés peuvent faire référence aux substances utilisées par les sorciers.
[3] Matthews Washington. « The Prayer of a Navaho Shaman », American Anthropologist, Old Series 1 (1888), p.147-170.
Peinture de sable et bâtons de prières (kethawns): offrandes aux Yei.
Les peintures de sable et les bâtons de prière disposés autour du malade constituent des offrandes aux Yei.
La peinture de sable est un miroir pour les Yei qui, attirés par leur propre représentation, participent activement à la cérémonie. Pour qu’ils acceptent de se rendre au hogan cérémoniel où se déroule la Voie, la peinture de sable doit être réalisée avec soin. Les Yei ne tolèrent aucune erreur de reproduction. La peinture de sable, par sa perfection, reflète la dimension sacrée du cosmos.
Les peintures de sable, les bâtons de prières et le pollen constituent des offrandes pour attirer le regard des Yei et les convier à la cérémonie.
Les êtres sacrés Navajos ne dérogent pas à la règle propre aux traditions antiques: pour attirer la bienveillance des Dieux, il faut d’abord les flatter puis les “nourrir”. Cependant, contrairement aux rites animistes importés du continent africain au continent américain, les rituels navajo revêtant un caractère sacrificiel se limitent à des offrandes sous la forme de tabac et d’objets utilisés dans la confection de parures (plumes et perles). La vie de chaque créature végétale ou animale est sacrée.
Extrait de la Voie de la Nuit (Matthews, pages 73-74):
J’ai accompli ton sacrifice.
Je t’ai préparé de quoi fumer.
Rétablis mes pieds pour moi.
Rétablis mes jambes pour moi.
Rétablis mon corps pour moi,
Rétablis mon esprit pour moi.
Rétablis ma voix pour moi.
Sensibles à l’offrande faite, les Yei peuvent maintenant accourir:
Venant de l’autre côté du canyon de Chelly il traverse,
Sur une fine corde horizontale de bleu il traverse,
Pour son kethawn de bleu, sur la corde il traverse.
Venant de l’autre côté du canyon de Chelly il traverse,
Sur une fine corde horizontale de blanc il traverse,
Pour son kethawn de noir, sur la corde
il traverse.
La guérison
Les pigments de la peinture de sable sont éparpillés et retournent à la terre et le chanté accueille le nouveau jour en célébrant sa confiance retrouvée :
Par bonheur mes yeux retrouvent leur pouvoir. Par bonheur ma tête est apaisée. Par bonheur mes membres retrouvent leur pouvoir. Par bonheur j’entends de nouveau. Par bonheur pour moi le sort est écarté. Par bonheur je peux marcher. Insensible à la douleur, ainsi puis-je marcher. Eprouvant la lumière à l’intérieur de moi, je marche. Plein de joie et d’entrain, je marche. [1]
Les amis et parents du chanté demeurent à l’intérieur du hogan et célèbrent sa guérison. Leur chant de gratitude fait écho aux mélopées du chanté :
De l’étang dans la vallée blanche, le jeune homme en quête, le dieu accepte ses sacrifices
(…) des mares dans la prairie verte, la jeune femme en quête, le dieu accepte ses sacrifices, grâce à cela [ils guérissent] maintenant, grâce à cela les tiens te remercient. [2]
Le sacrifice du chanté est d’accepter de renoncer aux velléités de domination sur la matière et le temps. Lorsque le patient accepte de s’abandonner en réitérant sa confiance en un ordre magnifique et bienveillant, il guérit.
Le motif de la crainte est récurrent dans toutes les mélopées de gratitude. La peur paralyse le chanté qui est coupé du sentiment de beauté. La cérémonie permet au chanté de se débarrasser de ses angoisses. La guérison est réalisée. Le patient retrouve la vue et chante la beauté de la création :
Les montagnes ont regagné leur place, les arbres ont regagné leur place, toute la végétation pousse de nouveau à sa place, tout est redevenu beau. J’ai échappé à la peur. J’ai échappé à la peur (…) Les dieux me bénissent. Je suis heureux! [3]
[1] Matthews, Washington. « The Night Chant : A Navaho Ceremony », Memoirs of the American Museum of Natural History, 6, 1902, p.144. Mélopée de la Voie de la Nuit après la neuvième et dernière nuit.
[2] Op.cit., p.153.
[3] Prière au Peuple Etoile, Natani Tso in Sandner, Donald. Rituels de guérison chez les Navajo. Editions du Rocher, 1996, p.166-67.
Super article, très intéressant et initiatique, merci beaucoup.
Bonjour,
Merci pour cet article ! Où trouver les références ? telles que Matthews, Washington. « The Night Chant : A Navaho Ceremony », Memoirs of the American Museum of Natural History, 6, 1902 entre autres
Bonjour,
l’article est numérisé ici : https://digitallibrary.amnh.org/handle/2246/30
il suffit ensuite de le télécharger pour le lire.
Bonne journée,
Nausica
Merci pour cet article, et pour ce dernier lien, et très belle année à vous!