« Je dois aller à la cérémonie… » (C. Gorman, avril 1969, Twin Lake Chapter)
Cet extrait montre que certains jeunes Navajo n’avaient que faire des cérémonies organisées par la famille à leur intention. Convaincus de l’efficacité de la science moderne, ils acceptaient néanmoins de rencontrer le hataali et de devenir le protagoniste des différentes étapes de la cérémonie.
« Tous mes proches m’expliquent que ce sera simple, rien ne m’arrivera, je dois juste me montrer docile, être un bon petit patient…mais, vous savez, je continue à me demander, on ne m’a peut-être pas dit toute la vérité, et si je dois exécuter en présence du medicine man quelque chose de réellement grotesque…ou quelque chose qui sera physiquement douloureux…Plein de peurs envahissaient mon esprit…et je pensais vraiment qu’au dernier moment, je ne me présenterai pas à la cérémonie.
Mais, j’en ai parlé à ma mère et elle m’a dit: « S’il y a bien quelque chose qu’il est interdit de faire, c’est de ne pas se rendre à la cérémonie. Ce n’est pas comme prendre un rendez-vous chez le médecin…et à trois heures de l’après-midi, le lendemain, vous n’êtes pas à patienter dans son cabinet…Tu n’annules pas parce que tu as mal à la tête ou un autre truc du même genre, ou parce que tu as changé d’avis, tu dois passer par là. (…)
Au moins, j’étais content que ma cérémonie n’allait durer que deux jours parce qu’il faut s’asseoir sur le sol; je pense que l’on pourrait rester assis dans un fauteuil mais tout est réalisé sur le sol, pratiquement au centre du hogan, vous et le medicine man, vous vous allongez et vos proches participent à la cérémonie en vous manipulant. »
Interdictions rituelles pendant la cérémonie. (C. Gorman, avril 1969, Twin Lake Chapter)
« Tout ceux qui participent ou assistent à la cérémonie pénètrent dans le hogan par la gauche et le quittent par la droite. Lors d’une cérémonie, les femmes se tiennent d’un côté de l’habitation et les hommes de l’autre…et moi, sans réfléchir à tout cela, je ne respectais pas la bonne direction et ce fut comme si le toit nous était tombé sur la tête : l’homme médecine était furieux et tout le monde me hurla dessus. »
Interdictions rituelles après la cérémonie. (C. Gorman, avril 1969, Twin Lake Chapter)
« Ils insistent pour que vous demeuriez ‘sacré’ pendant quatre jours après le chant…plusieurs gestes sont interdits. Il m’avait dit que je ne devais pas manipuler quelque chose de chaud, même si je cuisine…préparer du café, faire un feu…Je n’avais pas le droit de toucher des objets qui avaient été en contact avec une source de chaleur…Si jamais je le faisais, j’aurais mal après…Si je touchais la cafetière ou approchais ma main du feu et bien, mon bras tomberait malade (…) Je ne pouvais pas toucher de la viande rouge…Si je vivais de manière traditionnelle et je souhaiterais respecter ces interdictions, un proche devrait venir m’aider à préparer la cuisine mais comme je ne vis pas selon la coutume, je possède un réchaud à gaz dans la cuisine et j’ai fait toutes ces choses tout seul, sans l’aide de personne (…) Ce genre de choses ne me pose pas de problèmes mais je peux comprendre quelles peuvent être les conséquences pour les Navajo traditionnels…Je vous dis tout ça car vous pouvez rencontrer des familles qui viennent d’organiser un chant pour un de leurs proches. Vous comprenez alors pourquoi lorsque vous regardez une fille qui demeure immobile, sans exécuter le moindre mouvement, ce n’est pas une fainéante…Elle vient juste de recevoir une cérémonie. »
Le prix d’une cérémonie. (C. Gorman, avril 1969)
« Lorsqu’une famille est persuadée de la nécessité d’organiser une cérémonie, cela va constituer un véritable fardeau financier…Vous vous demandez pourquoi un tiers de la famille vit dans le dénuement le plus extrême. Pourtant, un jour, sans crier garde, ces mêmes individus dans le besoin, commencent à emprunter de l’argent à leurs proches…pour acheter des pommes de terre et le reste des aliments nécessaires pour la cérémonie (…) et vous allez avoir besoin d’un véhicule…Pour les Navajo, la prééminence de la cérémonie sur les autres aspects du quotidien est incontestable (…) Plusieurs de mes proches contribuèrent aux dépenses: ils achetèrent des moutons et certains apportèrent des soda, de la farine ou du pain frit (…) et puis on doit prendre en compte le matériel du chanteur. »
Extraits de AIOHC Navajo Transcripts, American Indian Oral History Collection, 1967-72, MSS 314 BC, Center for Southwest Research, University of New Mexico, Albuquerque, cassette # 286B.
Les Navajo établissent une corrélation entre le prix d’une cérémonie et l’efficacité de cette dernière. Si, depuis les années 1970, certains medicine men dénoncent les charlatans cupides qui exploitent la détresse des malades pour réaliser des rituels à des prix exorbitants, il faut reconnaître que la nature même de la cérémonie, de son organisation, constitue un coût non négligeable.
Les cérémonies navajo célèbrent le retour du malade à la communauté. Avec sa guérison, c’est tout l’univers qui guérit. La famille proche ou éloignée est partie prenante du processus curatif. Elle aide le hataali et signifie ainsi son acquiescement à l’ordre institué par les Yei. Il faut donc la nourrir pendant plusieurs jours.
Don de soi, don aux autres, la cérémonie est avant tout une occasion de se réunir et de se réjouir de la beauté du monde scintillant.
On estime qu’aujourd’hui, le prix d’une cérémonie Yei Bei Chei oscille entre 3000 et 4000 $.