Inscrire une maladie récente dans la tradition curative : l’exemple du cancer.
Les hataali sont parfois bien en peine pour expliquer, en accord avec les enseignements des Yei, les causes de maladies d’apparition récente. Comment soigner des maladies dont aucune histoire sacrée ne fait mention ?
Quelle peut être la cause de maladies qui ne semblent pas avoir été répertoriées dans le passé mythique des Navajo ?
Peut-on établir des concordances entre l’étiologie traditionnelle et les symptômes affichés par les patients atteints de cancer ou de SIDA ? Quelle signification spirituelle attribuer à ces maux ?
Une cause environnementale… l’extraction d’uranium.
On a constaté une prévalence moindre de cancers jusque dans les années 1980. En raison de l’exploitation de l’uranium dans la région de Crownpoint et de la modification du régime alimentaire, certains types de cancers ont augmenté depuis.
L’expression utilisée pour désigner cette maladie est « la plaie qui ne cesse de se putréfier ».
Cosmogonie et étiologie navajo.
Selon le mythe des Origines, les Navajo émergèrent d’une série de mondes souterrains avant d’atteindre le monde scintillant, la surface de la terre. A chaque ascension, les Navajo acquéraient de nouveaux savoirs.
Ce qui croît est paré de nombreuses vertus et décrire le cancer comme un processus de multiplication cellulaire à l’attention d’un Navajo traditionaliste semble peu pertinent.
Mais, l’excès est souvent évoqué pour décrire des comportements entraînant la maladie. Les mondes inférieurs étaient caractérisés par les dérèglements en tout genre: une typographie localise donc de nombreuses maladies, au nombre desquelles le cancer, dans les ténèbres des mondes inférieurs.
Le cancer est né dans le deuxième monde mythique.
Le cancer trouve son origine dans le deuxième monde, le monde jaune caractérisé par les abus sexuels de ses habitants.
Dans l’imaginaire navajo, le cancer a donc un lien avec les maladies vénériennes et de nombreux patients traditionalistes ont une mauvaise conception du développement du cancer qu’ils assimilent à une maladie contagieuse sexuellement transmissible.
L’éclair comme cause du cancer.
L’excès n’est pas uniquement l’expression d’une volonté de subordonner son prochain à son plaisir mais reflète également le désir de maîtrise des éléments naturels par l’homme. Les habitants du deuxième monde tentèrent de contrôler l’éclair, utilisé par les êtres sacrés pour communiquer ou se déplacer. De nombreux patients cancéreux affirment avoir été témoins d’un orage ou d’être passés à proximité d’un arbre foudroyé. Cependant, comme l’apparition de la maladie est postérieure à l’élaboration du mythe, c’est aussi à partir des réalités scientifiques que va se construire le discours traditionnel étiologique.
L’interprétation traditionnelle de certaines réalités physiques posées par les scientifiques.
Le développement de l’industrie nucléaire dans les années 1950 a contribué à
l’augmentation du nombre de cas de cancers.
Les hataali (praticiens traditionnels) dénoncent les méfaits de l’uranium, Leetso, le monstre jaune: « l’uranium n’aurait jamais dû être déterré (…) Tout ce qui a été enlevé de notre Terre Mère est devenu dangereux (…) Mère Nature se fâche. »
La couleur jaune de l’uranium explique la localisation mythique du cancer dans le monde jaune dont les habitants, par leurs excès avaient désacralisé la terre. L’identification de certains éléments associés à l’apparition du cancer (l’uranium, l’extraction minière) ont donc permis d’établir une analogie entre l’occurrence mythique d’une transgression entraînant la maladie et la manifestation du mal dans le présent profane.
L’effet de duplication des phénomènes et des événements, dans le passé mythologique collectif et l’expérience du quotidien individuel permet la création de nouvelles analogies.
Ainsi, l’irradiation va se comprendre en termes de radiations et englobera une multitude de phénomènes lumineux ou magnétiques dont l’éclair devient le paradigme. Parmi les causes de cancer recensées parmi les patients navajo, on notera donc l’éclair, le micro-onde, la télévision etc…
Le CANCEREUX
- est le TRANSGRESSEUR (commettre des excès sexuels)
- CELUI QUI A ENFREINT UN TABOU (regarder l’éclair)
- CELUI QUI ASSERVIT LA TERRE (le complice de Leetso, le monstre jaune de l’uranium)
Pour plus d’information sur l’extraction d’uranium, ses conséquences, son interprétation, en territoire navajo:
- Leetso, the Powerful Yellow Monster: A Navajo Cultural Interpretation of Uranium Mining by Esther Yazzie-Lewis and Jim Zion.
http://www.inmotionmagazine.com/hcare/db_npum.html
- Uranium and Radiation Education Outreach
http://www4.nau.edu/eeop/ureo/ltzo.htm
- Land Use History of North America Colorado Plateau
http://cpluhna.nau.edu/Change/uranium.htm
- Uranium Mine Waste on the Navajo Reservation
House Committee on Natural Resources, 103rd Congress 1994 U.S. Government Printing Office
- Radiation Exposure of Uranium Miners
U.S. Congress Subcommittee on Research, Development and Radiation 1967 90th Congress 1st Session
- Memories Come To Us In the Rain and the Wind
Doug Brugge, 2000, Red Sun Press: Jamaica Plain, Massachusetts.
- Environmental Justice for the Navajo:
http://www.umich.edu/~snre492/sdancy.html
L’obésité, le diabète: méfaits de l’acculturation…
Certains responsables éducatifs et spirituels affirment que l’acculturation est responsable de l’apparition de nouvelles maladies telles que le diabète et l’obésité.
Dès les années 1960, le gouvernement tribal et fédéral prennent la mesure des conséquences du changement de régime alimentaire navajo. De nombreux personnels hospitaliers -de structures privées ou publiques- mettent en place des programmes d’information sur les méfaits du diabète. Une approche visuelle est privilégiée dans les campagnes d’information et de prévention. On montre, à l’aide de photographies, des Navajo (comme Marie-Louise Chee) réaliser des efforts physiques censés prévenir l’apparition d’une surcharge pondérale ou bien des hommes et femmes limiter leur consommation de sucres rapides en évitant d’acheter des sodas ou des gâteaux. Des schémas sont également utilisés pour enseigner aux Navajo le fonctionnement du pancréas et la régulation du sucre par l’insuline.
Les photographies qui suivent appartiennent au fond Veronika Evaneshko (Cline Library), du nom d’une infirmière qui travailla depuis 1959 dans les réserves du Sud-ouest. Elle fut également chargée de plusieurs programmes de prévention au sein de comités de l’Arizona State University, du Native American Research Center et du Urban Indian Needs Assessment.
Le gouvernement tribal a mis en place plusieurs actions pour promouvoir le retour à une alimentation pauvre en graisse, inspirée d’un régime traditionnel dit traditionnel.
Les anciens aiment à rappeler qu’autrefois, les jeunes Navajo étaient encouragés à courir chaque matin au lever du soleil afin de saluer les Yei et leur prouver qu’ils faisaient preuve de vigueur et courage.
Plusieurs campagnes d’information en matière de nutrition ont été lancées par le gouvernement tribal: le pain frit – plat typique navajo- est aujourd’hui au coeur d’une polémique. Importé par les espagnols, le pain frit est aujourd’hui considéré comme l’emblème d’une colonisation qui impose un régime alimentaire non adapté aux Navajo.
Les supermarchés de la réserve affichent les propriétés de chaque légume afin de modifier les mentalités et encourager les Navajo à délaisser les fast-food pour une alimentation plus équilibrée.
Le Conseil Tribal a décidé de récompenser des individus oeuvrant pour la promotion de la cuisine navajo. Ainsi, lors de la cinquante-cinquième édition de la Navajo Nation Fair Parade, Clara Maryboy, mère de famille navajo résidant en Utah, fut distinguée par les représentants politiques de la Nation Navajo.
Chaque année, des membres du Conseil Tribal rappellent à la population les bienfaits de
l’exercice physique en organisant de longues marches à travers la réserve.[1]
A travers les Navajo Department of Health de nombreux programmes à destination des mères de famille ont vu le jour : le Navajo Nation Food Distribution Program, le New Dawn Program comportent un volet enseignement. Les femmes qui en bénéficient apprennent à cuisiner en utilisant les produits alimentaires traditionnels: pignon, maïs, haricots, squash, lait de chèvre, baies sauvages etc…
[1] Norrell, Brenda. « Utah Navajo mother honored for keeping traditional lifeways ». Indian Country Today, 24 septembre 2001.